La Californie, ses entreprises d'informatique, ses cadavres... Tout commence avec ce qui s'apparente à une noyade. Mais "Blackmail Blues", deuxième roman de l'écrivaine après "Enola Game", va plonger très profond dans les eaux troubles des relations humaines. D'un opus à l'autre, l'écrivaine Christel Diehl est devenue Chris Diehl: "Enola Game", roman tragique à huis clos, et le polar "Blackmail Blues" - publié aux éditions du Toucan, que je remercie pour l'envoi! - n'ont pas grand-chose en commun!
"Blackmail Blues" est un roman policier aux allures classiques, où deux agents tâtonnent, en mettant en commun des qualités complémentaires d'enquête, jusqu'à arriver au personnage qui a tué. Nombreux sont les entretiens et interrogatoires qui émaillent le récit! Ils révèlent en creux que David Pounds, la victime retrouvée dans l'eau d'un lac, est un mort dont personne ne veut. Le portrait qui apparaît en creux est peu flatteur, pour ne pas dire détestable: c'est un maître chanteur, un manipulateur, un gars dépensier qui ne recule devant rien pour obtenir des fonds. C'est aussi un homme à femmes. Et comme beaucoup de gens ont de bonnes raisons de lui en vouloir, ça fait autant de suspects...
La Californie présentée par l'écrivaine est un monde imaginaire. L'enquête, en particulier, se déroule dans la ville de Las Caidas, qu'on pourrait traduire de l'espagnol par "Les Chutes": un lieu où les criminels chutent face à la perspicacité des policiers? Il est permis de le voir ainsi. On y trouve aussi des entreprises, des lieux qui trahissent une certaine opulence, et même des coins de campagne. L'auteure aime travestir les noms de marques célèbres, californiennes ou non, ce qui ne manque pas de faire sourire. On trouve ainsi Thunder (un site de rencontres), ou Face Value (un livre de visages bien connu). En outre, l'utilisation de mots anglais typiques du jargon policier américain, traduits avec diligence en notes de bas de page, donnent un peu au lecteur l'impression d'être aux Etats-Unis.
Le lien particulier entre Tom Riley et Tess Lorenzi, tandem d'agents bien rodé, est annoncé d'emblée, avec de riches références et même un surnom, bien commode pour alléger l'écriture du roman: leurs collègues les surnomment TN'T. L'auteure ne se lasse pas d'explorer ce lien, qui dépasse les simples rapports professionnels pour déboucher dans les eaux troubles du sentiment. Une évolution qui a ses limites, que l'auteure fixe clairement: l'effet de dramatisation, sur le ton du "fruit défendu", est garanti.
De manière plus large, d'ailleurs, les relations humaines sont particulièrement soignées dans ce roman qui, sous des dehors un peu lents, recèle quelques situations paroxystiques, avec suicides à la clé. Fausses lettres, regards noirs du pigeon au maître chanteur, relations d'affaires trompeuses, adultères, les situations sont nombreuses et sonnent juste. Et il y a du beau monde dans "Blackmail Blues", puisque même la Cosa Nostra s'en mêle...
"Blackmail Blues" fait partie de ces romans policiers faussement tranquilles qui captivent en raison de l'attention portée aux personnages et à leurs interactions - en l'espèce dans un milieu où tout le monde a une bonne raison de détester la victime, voire de la tuer. La recréation de ces tensions a de quoi fasciner le lecteur, avide de savoir comment les pièces du puzzle vont s'emboîter. Coeur, chantage, hacking, mafia: quel sera le bon mobile? Un peu de tout, peut-être? A découvrir: paradoxalement, le lecteur se retrouve ferré, à vouloir savoir qui a tué cet infâme bonhomme que tout le monde aurait voulu voir mort.
Chris Diehl, Blackmail Blues, Paris, Editions du Toucan, 2017.