samedi 18 janvier 2025

Libres réflexions sur la liberté d'offenser

Ruwen Ogien – Dans le petit livre "La liberté d'offenser", le philosophe Ruwen Ogien (1947-2017) se positionne entre le droit, la morale et la réflexion pour considérer la question des restrictions à l'accès aux représentations explicites liées au sexe. Pour ce faire, il interroge certains interdits... et, dans un esprit libéral, il les déconstruit à l'aide d'arguments rationnels finement développés.

Sa première démonstration, qui marque tout ce petit ouvrage, consiste à réfuter l'idée d'une "exception artistique" qui voudrait qu'une représentation explicite d'un sujet sexuel échappe à toute censure en raison de ses qualités évidentes en matière artistique, littéraire, esthétique ou d'édification: les frontières sont poreuses, et après tout, qui détermine ce qui a le droit d'être artistique ou non? 

Développant cette idée, testant les extrêmes, il suggère à titre d'exemple que la pornographie est considérée comme une forme de création de l'esprit dépourvue de bon goût... tout en soulignant que personne, pas même le juge chargé de censurer, n'est en mesure de définir ce "bon goût" de façon univoque.

L'auteur prend bien soin de distinguer entre l'offense et le préjudice. La première ne saurait selon lui être sanctionnée, dans la mesure où, selon sa définition, elle ne s'attaque qu'à des symboles ou des divinités, donc à des choses abstraites. Cela, par opposition au préjudice, qui cause des dommages concrets à des personnes. Ainsi, la représentation de scènes explicites sur la scène d'un théâtre, entre acteurs consentants et face à un public prévenu (au moins un peu), ne saurait être censurée. 

Consentants? L'auteur explore le thème du consentement, et c'est fort détaillé. Dans son approche libérale, le consentement devrait être compris dans son sens le plus large, y compris par exemple pour la prostitution. Les restrictions que l'auteur identifie, et qui émanent selon lui de milieux religieux ou féministes, lui paraissent hypocrites dans la mesure où la définition qu'ils donnent du consentement est impossible à atteindre, même dans des domaines moins sensibles, et où ils semblent poser une présomption de non-consentement dans certaines catégories de personnes, alors que la réalité peut être plus nuancée.

L'auteur questionne aussi, mine de rien, les restrictions d'âge liées à l'exposition à des contenus explicites (images, mais aussi littérature) et leurs contradictions dans le droit français, et rappelle que le porno fait l'objet d'une imposition fiscale, alors qu'il n'y a guère de critère indiscutable, selon lui, pour classer une création de l'esprit dans la catégorie "pornographique" (classée X). L'aléatoire règne donc, en fonction de la sensibilité de juges bien humains plus que de caractéristiques légales.

Si court qu'il soit, "La liberté d'offenser" est un ouvrage riche qui a de quoi déranger son lectorat tant il est radical dans son travail de déconstruction de présupposés moraux qu'on peut croire évidents. Libertarien et sans doute individualiste, le philosophe, on peut le regretter, passe parfois comme chat sur braise sur l'impact global ou systémique de certains types d'exposition aux contenus explicites. Peut-être parce que cette expérience est éminemment individuelle? Ou parce que cet impact, y compris sur la jeunesse, est lui-même discutable?

En tout cas, quitte à secouer quelques certitudes, l'auteur en appelle à une "liberté d'offenser" aussi étendue que possible en la matière, sans préjudice possible, structurée sur la base d'un consentement présumé sincère de la part des parties prenantes qui se prétendent telles et de l'idée que les représentations sexuelles explicites ne sauraient être autre chose que des offenses, génératrices de "crimes sans victimes" donc non condamnables selon les arguments habituels de "bon goût" ou d'"objectivation".

Ruwen Ogien, La liberté d'offenser, Paris, La Musardine, 2007.

Le site des éditions La Musardine.

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