Alexandre Pouchkine – On ne le sait pas forcément en Europe occidentale, mais le poète national russe Alexandre Pouchkine compte un prince africain parmi ses ancêtres. Sous l'aile du tsar Pierre le Grand à qui il a été "vendu", Ibrahim Hannibal a connu une destinée hors du commun, marquée cependant par la couleur de sa peau: capturé par des esclavagistes musulmans, c'était un Noir. Son descendant a entrepris de relater sa destinée dans un ouvrage biographique et romanesque malheureusement inachevé: "Le nègre de Pierre le Grand". Dans leur collection "Bilingue", les éditions Folio en proposent une version bilingue accessible aux francophones, compilant page à page, en russe et en français, les épisodes qu'Alexandre Pouchkine a laissés.
L'ouvrage est donc court, mais important! Il comprend quelques épisodes marquants de la vie d'Ibrahim Abraham, centrés sur sa jeunesse. Aux premières pages, le lecteur le trouve à Paris, où il fait ses expériences de jeune homme. D'emblée, la narration donne à voir, sans fard, avec une naïveté décomplexée qui a de quoi provoquer, ce qu'on appelle "racisme" depuis 1902 (selon le Robert): curiosité gênante face à un homme qui n'a pas la même carnation que les autres (et cette gêne, l'écrivain la rapporte sans dramatisation, mais sans détour non plus), peur du scandale dès lors que, amant d'une comtesse volage nommée Léonore, il lui fait un enfant (et quelle sera sa couleur? se demande-t-on...). La fin du chapitre II apparaît ainsi comme un parfait épisode de roman, porté par le souci d'éviter le scandale au mari cocu.
Cet épisode se déroule en France; l'édition rappelle que l'auteur prend quelques libertés avec la vérité en plaçant cet épisode de la vie d'Ibrahim Hannibal à Paris alors qu'il s'est plus probablement produit à Metz. Mais voilà: Ibrahim Hannibal décide finalement de retrouver Saint-Pétersbourg, comprenant l'impasse que constitue son amour avec Léonore – sa lettre d'adieu suggère du reste, une fois de plus, que cette impossibilité a quelque chose à voir avec la couleur de peau d'Ibrahim Hannibal, et qu'il a intégré cette donnée.
Le motif du rejet à raison de la race persiste dans les deux épisodes restants que l'ouvrage nous donne, et qui se déroulent dans la toute jeune Saint-Pétersbourg, dont Ibrahim Hannibal voit les chantiers. L'écrivain décrit en particulier, sans aucune complaisance, ce que les "assemblées", soirées où toute la noblesse est convoquées et auxquelles il est difficile d'échapper. Protégé du tsar, Ibrahim Hannibal y est convié, y fait des connaissances. Et le tsar va jusqu'à lui arranger la possibilité d'un mariage, ce qui ne va pas sans heurts.
En relatant la vie de son aïeul, l'écrivain Alexandre Pouchkine relate avec toute la franchise qu'implique la naïveté ce que l'on appelle aujourd'hui le racisme. Cela, avec ses masques hypocrites et ses pénibles aveux (on l'aime bien, Ibrahim Hannibal, il sait se tenir en société, mais le veut-on comme gendre?), sans oublier bien sûr le jeu des stéréotypes plus ou moins malveillants, fondés sans doute, si l'on pense à Natacha, la jeune promise d'Ibrahim Hannibal, à l'ignorance. Biographie descriptive et romanesque à son origine, "Le nègre de Pierre le Grand" se lit aujourd'hui, entre autres, comme le rappel d'un racisme dont nous ne voulons plus. Et constitue, donnée par un poète russe que tous les Russes ont adopté, une forte leçon d'humanisme.
Quelques mots enfin sur le livre lui-même: celui-ci donne un texte modernisé du roman "Le nègre de Pierre le Grand", parfaitement lisible pour les russophones d'aujourd'hui. L'édition est enrichie par un petit cahier d'images qui permettent au lecteur de se plonger dans l'époque, c'est-à-dire le début du dix-huitième siècle, où commence la destinée d'Ibrahim Hannibal.
Alexandre Pouchkine, Le nègre de Pierre le Grand, 1837/Paris, Folio Bilingue, 2010. Traduit du russe et annoté par Gustave Aucouturier. Traduction révisée par Simone Sentz-Michel.
Ce que tu en dis me tente bien ! (Même si j'ai de quoi lire pour les 10 ans à venir je pense...)
RépondreSupprimerMerci d'être passée, Nathalie! Oh, celui-ci est court... mais effectivement fort! Bonne semaine et bonnes lectures à toi!
SupprimerJe me demandais ce que j'avais lu de cet auteur ... eh ben, rien sans doute ! Une lacune que tu m'invites à combler, merci :)
RépondreSupprimerBonjour Violette, merci d'être venue par ici! Je te souhaite une bonne découverte de Pouchkine, alors!
SupprimerBonne semaine et bonnes lectures à toi!
Merci à Nathalie de m'avoir prévenue de ce billet. Quelle découverte ! J'ai déjà lu Pouchkine, un de mes écrivains russes préférés avec Dostoïevski, Tolstoï, Gogol (et tant d'autres en fait comme Tourgueniev, Sergueï Dovlatov, etc. et plus contemporain Dmitri Gloukhovski), bref je note ce livre bilingue même si c'est difficile pour moi ! Lis-tu le russe ?
RépondreSupprimerBonjour PatiVore, merci d'être passée par ici! C'était mon premier Pouchkine, une lecture intéressante même si elle comprend les limites liées à un texte inachevé. Mais je reviendrai à cet écrivain, pour sûr - en français, je ne lis pas suffisamment bien le russe!
SupprimerJe te souhaite une bonne semaine.
En cherchant sur Wikip', je viens de découvrir l'existence d'un film soviétique de 1976, "Comment le tsar Pierre le Grand a marié un Noir", sans direct avec l'oeuvre de Pouchkine sauf erreur de ma part.
RépondreSupprimerMerci en tout cas pour l'info sur ce livre bilingue (je n'ai jamais étudié le russe, mais bon...).
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour tadloiducine, merci d'être passé! Comme le roman de Pouchkine est inachevé, il est certain que le cinéaste a dû trouver d'autres sources pour raconter l'histoire d'Ibrahim Hannibal: ce petit livre évoque surtout les années de jeunesse de ce personnage historique, devenu ensuite un militaire important.
SupprimerBonne fin de semaine à toi!