mardi 6 mai 2025

La paix, thème artistique subversif: œuvres et philosophie

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Barbara Polla – A la fois beau livre et réflexion sur la paix dans l'art et dans le monde, "F... moi la paix..." est aussi la mémoire d'une expérience artistique lancée par la galerie Analix Forever, basée à Chêne-Bourg (canton de Genève), débouchant à la fois sur une exposition et sur une réflexion philosophique sur la notion de paix. Tout a débuté par un constat de la part de l'initiatrice du projet: s'il est courant de trouver des artistes engagés en faveur de la paix, ceux-ci sont beaucoup plus rares à tenter de l'appréhender dans leur création sans en référer à son pendant: la guerre. 

Cela, à telle enseigne que les artistes qui ont accepté de participer au projet, chacun avec son bagage de vie (certains ont vécu dans des pays presque constamment en conflit) ont fait naître des œuvres entièrement nouvelles pour l'occasion. Cette partie "making of", vue comme une "coélaboration", est évoquée au fil des pages, en détail: les artistes et leurs tempéraments, mais aussi une liste de commissions impressionnante. Ces tableaux, en effet, il faut les créer, à l'acrylique. Un défi pour au moins un des artistes, peu coutumier de cette technique. Quant au groupe d'artistes, il s'est formé en avril 2022 à la biennale de Venise.

Des tentes et des vulves par Abdul Rahman Katanani ("Dans ces tentes, nous y entrons quand nous sommes invités – comme dans les vulves", dit l'artiste), des politiciens représentés comme des clowns par Serwan Baran, un portrait à huit mains (celles des deux précédents artistes, ainsi que de Said Baalbaki et d'Ayman Baalbaki) qui renvoie à Emmanuel Levinas présenté comme le philosophe du visage, sans oublier l'approche dansée de Brice Catherin ou les photographies d'artistes proches de la galerie Analix Forever: chaque créateur use de ses outils et de sa sensibilité pour donner corps à l'idée de paix. De nombreuses illustrations en témoignent tout au long de l'ouvrage. Et associées aux textes, les œuvres présentées composent une forme d'"utopie agissante", en vue sans doute, simplement, de représenter une paix, ou même une "micro-paix".

Au-delà des aspects concrets et matériels, en effet, "F... moi la paix..." développe aussi, au travers de commentaires d'auteurs divers, une certaine idée de la paix, loin du cliché d'un paisible entre-soi. La paix peut ainsi constituer le sommaire d'un journal fictif, à l'enseigne du faux "New York Times" imaginé par le collectif des "Yes Men", ou des slogans aménagés en enseignes lumineuses par Robert Montgomery – et là, l'ouvrage dépasse le seul contexte de l'exposition. Son exposé philosophique va glaner jusque chez les non-violents Jean Giono et Léon Tolstoï pour évoquer le caractère foncièrement subversif de la paix, vue comme une riposte aux gens de pouvoir.

Ainsi naît, au fil des pages, une réflexion originale et approfondie, doucement anarchiste, sur la paix en tant que telle, ainsi que sur son expression artistique, plus rare qu'on ne le croit. Cette réflexion confine à l'idée d'une paix qui captiverait chacune et chacun partout, aussi dans les créations populaires: jeux vidéo, albums de Taylor Swift, etc. Un renversement qui résonne avec cette phrase du faux "New York Times", placée dans une annonce fictive d'ExxonMobil: "Peace. An idea the world can profit from."

Barbara Polla/Collectif, F... moi la paix..., Une histoire d'art et d'engagements, Bordeaux/Bruxelles, Le Bord de l'eau/La Muette, 2024.

Le site de la galerie Analix Forever, celui des éditions Le Bord de l'Eau, celui des éditions La Muette.

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