lundi 30 janvier 2017

Défi Premier roman: un round supplémentaire en 2017!

DPR2017Fidèles participantes et participants au Défi Premier roman, bonsoir et bonne nouvelle: je reconduis le défi pour une nouvelle année. Les règles sont toujours les mêmes: lire un premier roman, au minimum, suffit pour en être. Et il vous est possible de recommencer autant de fois que vous le souhaitez. Naturellement, les nouvelles participantes et les nouveaux participants sont aussi les bienvenus, tout au long de l'année!

Je relayerai les participations sur ce blog, et tiendrai le récapitulatif à jour, comme ces dernières années. Cela, afin de faire connaître de nouveaux romanciers et de mettre vos billets en valeur! Je vous prie cependant de me signaler spontanément vos participations en commentaire du présent article, pour des questions de commodité. Merci d'avance!

Alors, à vous de jouer! J'ai par ailleurs bricolé un nouveau logo aux allures printanières. 

Merci de vos contributions! Et... c'est parti!

dimanche 29 janvier 2017

Dimanche poétique 287: Germain Nouveau

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

Au musée des antiques

Elle veille en sa chaise étroite ;
Quelque roi d'Egypte a sculpté
Dans l'extase et la gravité
Le corps droit et la tête droite.

Moitié coiffe et moitié bandeau,
Fond pur à des lignes vermeilles,
Un pan tourne autour des oreilles,
Sa robe est la prison du Beau.

Ses yeux, de profonds péristyles
Où ne passe rien de réel,
De toute la largeur d'un ciel
S'ouvrent aux visions stériles ;

Et le menton rit tel qu'un fruit,
Et la joue est une colline ;
Quant à l'aile de la narine,
C'est l'ibis envolé sans bruit.

De l'épaule menue et grasse
Les bras courent le long des reins
Jusques à ses genoux sereins
Que chacune des mains embrasse,

Et le plat des cuisses est tel
Qu'il vous trouble et qu'il vous apaise
Par des attirances de chaise
Et des solennités d'autel !

La fraîcheur du visage antique
Laisse au vague appétit des yeux
Deviner les seins précieux
Dans un pli trop énigmatique,

Et sous l'impur raffinement
D'un profil qu'on rêve à des chèvres,
C'est pour des dieux que vont les lèvres
Souriant indéfiniment. 


Germain Nouveau (1851-1920), Premiers poèmes. Source. Poésie.webnet.

samedi 28 janvier 2017

Dictées: le Poulidor de l'orthographe est de retour...

L'année 2017 sera à nouveau une année des dictées. J'ai fait ma rentrée aujourd'hui même en participant à la neuvième Dictée des Nations, tenue simultanément dans cinq villes de France et de Suisse: Delémont (photo RJB), Bourg-Blanc, Belfort, Epinal, Orsay. Concocté par l'habile auteur Philippe Dessouliers, le texte m'a valu une deuxième place delémontaine, qui me conforte dans ma posture de Poulidor de l'orthographe, en catégorie "seniors confirmés". A titre personnel, un jalon quand même: je peux dire à présent que j'ai participé à des concours d'orthographe dans tous les cantons de Suisse romande. Cela, en attendant de remettre ça dans tous les départements de France...

Le texte? Philippe Dessouliers a habitué ses candidats à des textes cossus, et là, il n'a pas déçu. Les difficultés étaient de toute sorte: mots rares et précieux, champs lexicaux originaux (le Moyen Age, et surtout la chasse! Taïaut!), astuces grammaticales, accents et traits d'union. Cela, sans oublier les pièges de sens,dans lesquels l'auteur excelle. Ce coup-ci, on ne s'y perdait pas, mais il fallait un peu plus que le flair et l'habitude pour ne pas se planter. D'autant plus que le code de correction était sans concession.

Contestations? Il n'y en eut guère, le texte étant bien calé. Tout au plus a-t-on discuté des virgules suggérant une incise; les remous ont été plus importants autour du tour "et les deux mois de réclusion qu'elle a passés", l'accord de "passés" ayant été remis en question. "Deux mois" est-il complément d'objet direct ou complément circonstanciel? Cette année, l'auteur de la dictée a tranché en faveur du complément d'objet direct et a requis l'accord. Grosse astuce enfin: pour s'assurer que les candidats (et les correcteurs!) sont attentifs, l'auteur a placé un "À" majuscule, qu'il fallait dûment accentuer. Ne pas le faire, c'est une faute qui coûte cher...

Peu de gens, je le suppose, se sont aventurés à rédiger la dictée selon les règles de la "nouvelle orthographe", alors que le règlement l'admettait. Or, les nouvelles graphies étaient admises, à une condition dont il est permis de discuter: le candidat est sommé de choisir, avant l'épreuve, de se conformer totalement aux recommandations de 1990 ou d'y renoncer non moins totalement. Choisis ton camp, camarade! Cela, au détriment d'un certain naturel: être champion d'orthographe, c'est savoir écrire juste, selon l'ensemble des normes en vigueur à un moment donné. Et en qualité de candidat, je revendique les marges de manoeuvre créées par la fameuse réforme, même si je ne l'applique pas au quotidien de ma pratique de la langue française et que, par habitude, j'orthographie à l'ancienne.

Deuxième à Delémont, j'attends à présent mon classement sur les cinq villes participant au concours. L'épreuve a occupé une belle après-midi de soleil sur neige du côté de Delémont. Merci à Magali Rohner et à la commune de Delémont, jumelée à Belfort, d'avoir pris le flambeau de cette épreuve, qui en est à sa neuvième édition (j'ai participé à celle de 2010, c'était à Genève...). Et aussi merci à Philippe Dessouliers et au club d'orthographe de Belfort de mener à bien cette initiative internationale, année après année.

Les trois premiers en catégorie "seniors confirmés": 1. Jacques Menoud. 2. Daniel Fattore. 3. Antoine Saucy.

jeudi 26 janvier 2017

Tommy Jaud, une bière et... rien à battre!

Jaud"Rien à battre!": sacrée philosophie de vie! C'est aussi le titre d'un livre amusant de l'écrivain et scénariste allemand Tommy Jaud. Celui-ci se glisse dans la peau de Sean Brummel, le grand gourou californien bien connu (enfin... quoique!), pour développer, au fil des chapitres d'un livre présenté comme le best-seller de toutes les exagérations, une certaine philosophie du détachement face aux contingences d'aujourd'hui. Et aussi face à des résolutions prises à Nouvel An...

Le point de départ de cette réflexion est simple: si l'on s'écoute, on se trouve toujours, dans la vie quotidienne, des obligations qui peuvent s'avérer stressantes si l'on ne prend pas un peu de recul: faire la vaisselle, débarrasser la table, ranger le garage, etc. C'est ce que l'auteur appelle "le Démon du Devoir", présenté comme une bestiole sournoise et verte (les dessins d'Attik Kargar sont drôles) qu'il faut asphyxier. Le plus grave, pour l'auteur, c'est que ces multiples injonctions sont pires que les Dix Commandements bibliques, qui avaient naguère le mérite d'être simples et peu nombreux.

Suit dès lors une kyrielle de chapitres portant sur des obligations et injonctions fréquentes, sociales ou individuelles: boire moins d'alcool, faire plus de sport, se donner des buts dans la vie, essayer la bouffe végétarienne, fonder une famille, lire les modes d'emploi et les conditions d'utilisation, etc. A chaque fois, la réponse est la même: "Rien à battre!" Naturellement, l'auteur développe ses contre-arguments, qui dessinent les contours d'une philosophie de vie lorgnant vers Epicure (souvent cité).

On l'a compris, "Rien à battre!" est un livre d'humour, et un "trigger warning" (sagement nommé "Conditions d'utilisation" en début d'ouvrage) le rappelle aux esprits les plus difficiles à dérider. Du coup, les arguments développés ne reculent ni devant les contre-vérités, ni devant une mauvaise foi salutaire et réjouissante. Le lecteur ne manquera pas de relever quelques contradictions; qu'il en fasse ce qu'il veut! Et en bon pédagogue, l'auteur achève chacun de ses chapitres par des récapitulatifs qu'il faut signer. Là, moi aussi, je me suis dit: "Rien à battre!": pas envie de griffonner le livre...

Toujours dans un souci de pédagogie, l'auteur, dans la peau de Sean Brummel le bon vivant, mêle à ses considérations de gourou des exemples tirés de sa propre vie d'auteur à très grand succès (ses livres se vendent dans 703 pays...) et de fabricant de bière (la Brummelbock). Tel qu'il est présenté, ce Sean Brummel donne des conférences, organise des soirées où la bière est gratuite jusqu'à ce qu'un premier client sente que sa vessie va lâcher ("Free Til U Pee", hum...) et a un entourage qui le met en valeur, par association ou par répulsion: dans un sens comme dans l'autre, la caricature permet de souligner le propos. Et pour boucler le tout, l'auteur arrive à placer là la figure d'un oiseau unijambiste, Legless Larry. Vérité ou fiction? Rien à b... enfin, vous avez compris, l'essentiel, c'est qu'on rigole.

Les éditions Favre (merci pour l'envoi) ont eu une riche idée en publiant une traduction (signée Jean-Luc Bernet) de ce livre amusant et déculpabilisant, variante déglinguée et germano-californienne du lâcher-prise. Voilà un livre qui, quitte à oser s'écarter du politiquement correct, prend le contrepied des guides de vie et de bien-être actuels et offre un très bon moment de détente. A découvrir, idéalement une bière à la main, de préférence loin des agrès de votre salle de torture fitness préférée.

Tommy Jaud, Rien à battre!, Lausanne, Favre, 2017, traduction de l'allemand par Jean-Luc Bernet.


lundi 23 janvier 2017

Valérie Boronad, la traque des démons

Lu par Clarabel

Argentine, guerre sale. "Los Demonios", c'est la guérilla et la dictature. C'est aussi le titre du deuxième roman de Valérie Boronad, après le remarqué "Les constellations du hasard". L'écrivaine n'a certes pas de racines argentines, mais selon ses propres dires, ce pays s'est imposé sous sa plume, avec l'émergence du personnage de Tango, ce garçon qui veut connaître l'histoire des siens et, ce faisant, conjurer ses démons intérieurs - "Demonios", en écho à ceux qui ont sévi en Argentine dans les années 1970.

"Los Demonios" est porté par une écriture splendide, travaillée pour envoûter le lecteur. Celui-ci constate le souci du rythme, évident si l'on pense à ces chapitres qui portent le même nom et créent ainsi un lien entre eux, ou alors aux répétitions de mots. Cela, sans oublier le tic de langage assumé de Tango, qui aime le mot "nonobstant": celui-ci aussi devient récurrent.

Il faut un peu de temps pour entrer dans le récit et découvrir, peu à peu, les forces en présence. Il y a là des parents engagés contre le régime politique: plus précisément un père que l'enfant idéalise, qu'il attend en vain. Et aussi une mère qui va partir avec son fils pour la France, où Tango va se construire, grandir, perdre ses illusions et partir peu à peu à la recherche de la vérité. Et un vieil homme à histoires.

Pour dire la multiplicité des personnages, l'auteure choisit la forme du roman polyphonique. Les voix sont subtilement travaillées, quelques raccourcis (omission du mot "ne" dans les négations, par exemple) suggèrent la tentation de l'oralité. A cela vient s'ajouter une série poignante de lettres que l'enfant a envoyées à différentes organisations susceptibles de l'aider dans sa quête: ambassade, consulat, ONG. Et bien sûr la voix de l'écrivain: devenu grand, l'enfant choisit la forme du roman pour évoquer son expérience. 

C'est en Argentine que l'auteure amène ses lecteurs. Mais "Los Demonios" est un roman passionné où résonnent d'autres heures barbares de l'histoire européenne. Exemplaire, il touche ainsi à l'universel. 

Valérie Boronad, Los Demonios, Paris, Belfond, 2009.


dimanche 22 janvier 2017

Dimanche poétique 286: Silvia Härri

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line], Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

De l'infiltration d'eau
qui désagrège craquèle le crépi
en éclats            neige morcèle
les nuits écailles blanches
s'effrangent huit fossiles
enlisés dans tes valises.

On ne sait plus d'où on est quoi qui quand
et par quel stratagème
les lettres d'amour s'échardent
Chiquita banana ou s'empoussièrent
dans un écrin velours.

Déposées les vies d'hier
dans le couloir serti
de cartons. Agglomérats.
Résidus. Amalgame de fange
charbon et lumière.

Silvia Härri (1975- ), Mention fragile, Genève, Samizdat, 2013.    

samedi 21 janvier 2017

Matteo di Genaro est de retour...

Le site de l'auteur, celui de l'éditeur.

Matteo di Genaro a choisi de tomber le masque: derrière ce pseudonyme se cache Antonio Albanese, écrivain et musicien italo-suisse, distingué en 2009 pour "La Chute de l'homme". Et après "Une brute au grand coeur", voilà qu'a paru, en fin 2016, le deuxième épisode des aventures de celui qui garde son nom: le personnage atypique, richissime bisexuel aux talents d'enquêteur insolent, de Matteo di Genaro.

L'auteur l'annonçait au terme de "Une brute au grand coeur": les enquêtes de son personnage le mèneraient loin. Et de fait, "Voir Venise et vomir", le deuxième livre de ses aventures, presque aussi bref que le premier, se déroule à Venise. L'intrigue est vite résumée: "Fabrizio est mort" (c'est l'incipit, clair et net), Matteo di Genaro pleure son mignon vénitien et recherche la vérité. Et il la trouve, comme le veut la loi du genre policier. Il est permis de penser à "Mort à Venise" de Thomas Mann, ne serait-ce qu'en rapprochant la figure de Fabrizio, mineur au physique remarquable, de celle, androgyne, de Tadzio: ça rime.

Déconcertant personnage, d'ailleurs, que celui de Matteo di Genaro! On le sent cerné par des contradictions qu'il lui faudra bien démêler au fil des romans suivants, prévus par l'auteur. Présenté comme un personnage cultivé (comme pourrait l'être son jardin vénitien), Matteo di Genaro réserve quelques invectives pas bien malignes, déjà vues plus d'une fois, à l'Eglise catholique. Et puis, s'il dénonce, en un final aux paragraphes moralisateurs, la "bêtise de conviction", il ne semble pas tout à fait exempt de ce travers: il a ses convictions comme tout un chacun (il se présente comme un milliardaire de gauche...), et sa manière condescendante de s'adresser à un lecteur qui n'est certainement pas idiot est plutôt celle d'un cuistre que d'un sage. 
 
Cela dit, l'étalage de culture par le narrateur peut aussi être considéré comme une stratégie que l'écrivain a trouvée pour faire passer ce que Venise peut avoir de beau, loin de la place Saint-Marc hantée par les pigeons et les touristes. Vu comme ça, c'est assez bien joué: le lecteur aperçoit la Giudecca et ses ambiances, les îles, les prisons, la bibliothèque. Et il lit plus d'une histoire, plus d'une anecdote, que l'auteur parvient à enchâsser çà et là
L'influence de San-Antonio est certes palpable. Reste que "Voir Venise et vomir", si court qu'il soit, souffre d'une certaine lourdeur, qui se manifeste entre autres par la manie constante de souligner les effets. Lourdeur également dans l'affirmation de l'orientation sexuelle du narrateur, qu'on sent obligé de se justifier longuement. Et enfin, si la manière de raconter lorgne vers l'oralité, elle fait le grand écart avec des astuces typiques de l'écrit, telles que les notes de bas de page ou les réflexions sur la traduction.  

Comme son prédécesseur, "Voir Venise et vomir" s'achève sur le rituel "A suivre..." et fait miroiter la Nouvelle-Orléans. Embarqué là-bas, le lecteur gardera en tête les écrits de Poppy Z. Brite (je pense aux succulents "Alcool" et "La belle rouge"). Et dès à présent, il espère que l'auteur trouvera de nouveaux ressorts, où l'invective pesante cèdera la place à un supplément de fraîcheur.

Antonio Albanese, Voir Venise et vomir, Lausanne, BSN Press, 2016.

mercredi 18 janvier 2017

Martial Debriffe: on a volé les plans de la Grosse Bertha!

Debriffe FreudeneckLu par Pestoune.

On a volé les plans de la Grosse Bertha! Les espions s'activent dans l'Allemagne des années 1910. Et si les enjeux politiques constituent la toile de fond de "La Malédiction des Freudeneck", c'est avant tout l'humanité des personnages que l'auteur, Martial Debriffe, met en valeur.

"La Malédiction des Freudeneck" est porté par quelques personnages forts, remarquablement dessinés. On s'attachera surtout à Viktoria, vendeuse de modes, et Wolfgang, enseignant. Ce sont deux jeunes époux envoyés en Alsace, loin de Berlin, parce que Viktoria, dans le cadre de son travail, a intercepté des informations qu'elle n'aurait pas dû entendre: une manoeuvre en haut lieu a permis d'orchestrer cet exil. L'auteur montre bien l'effet du poids du secret sur ce personnage, qu'on sent soudain absent et inquiet. Quant à Wolfgang, enseignant de son état, il se distingue par une humanité qui lui vaut plus d'un attachement.

De l'autre côté, se trouvent quelques méchants tout aussi bien campés, à l'instar de l'excellente Anna Bernhardt, manipulatrice à souhait, délicieusement odieuse, capable des plus graves extrémités pour arriver à ses fins. Le lecteur s'interrogera aussi sur l'énigmatique Isabelle von Freudeneck, honnie de tous, vivant dans un château surélevé qui a tout d'un nid d'aigle. Enfin, tout commence dans une boutique de vêtements et de tissus berlinoise, dont l'ambiance est décrite avec brio: rien de mieux qu'un bel endroit, où les personnages semblent vivre en bonne harmonie, pour instaurer un climat agréable qu'il faudra bien casser.

L'auteur place donc les années 1910 en toile de fond, vues d'une Allemagne qui inclut l'Alsace et la Lorraine sous le pouvoir de Guillaume II de Prusse - l'auteur marque cette appartenance en adoptant les graphies allemandes pour les noms de localités alsaciennes: Strassburg, Wangenburg. Des éléments politiques affleurent, au bon endroit, juste ce qu'il faut, sans peser: le rappel des alliances d'avant-guerre entre Etats, le réarmement de l'Allemagne face à une Russie apparemment hostile et désireuse d'en savoir plus sur ce qui se passe dans le IIe Reich - d'où la quête des plans, dont l'auteur dessine l'odyssée. Du point de vue intérieur, les Berlinois nouveaux venus doivent vaincre l'hostilité des Alsaciens. L'auteur réserve quelques effets dramatiques surprenants, tels que ce rat suspendu à la porte de la maison de Wolfgang et Viktoria, mais il n'en abuse pas; l'enseignant comprend que s'il sait y faire, il saura se créer des alliés sur place. Commence dès lors un processus d'intégration, avec la complicité de Heinrich, policier retraité devenu maire.

Roman d'espionnage aux accents policiers, roman historique, "La Malédiction des Freudeneck" est aussi un roman du secret. Et ce secret va s'étendre jusqu'aux familles mises en scène: enfants échangés à la naissance, identité du vrai père de Viktoria. Cet aspect est matérialisé par un album de photos revenu à Viktoria après le décès de sa mère. Et puis, la malédiction éponyme, c'est aussi une légende terrible qui remonte au Moyen Age et rend le château des Freudeneck inquiétant.

"La Malédiction des Freudeneck" est riche et généreux, empreint d'un certain suspens indissociable du genre de l'espionnage. Ce roman reconstruit aussi toute une époque sans éclats inutiles, dans un souci de réalisme sérieux. Ecrit d'une plume souple et avisée, enfin, il se lit rapidement et avec aisance.

Martial Debriffe, La Malédiction des Freudeneck, Paris, Belfond, 2011.

lundi 16 janvier 2017

Accident ou meurtre? Catherine Gaillard-Sarron ose le roman policier

Gaillard Fuite
Avec "Délit de fuite", l'écrivaine franco-suisse Catherine Gaillard-Sarron poursuit son exploration des genres littéraires en offrant un premier polar. Auto-édité avec soin, celui-ci a paru en fin d'année dernière, quelque temps après son premier roman "Allons voir si la rose...", qui fait suite à plusieurs recueils de nouvelles et de poésie.

C'est un fait divers qui constitue le noeud de l'intrigue de "Délit de fuite": une voiture fonce sur une personne qui traverse la route, celle-ci meurt. Accident? Cela aurait pu se passer ainsi. Mais Annie Belmont, témoin oculaire, vient faire une déposition qui sème le trouble et s'avère cruciale pour l'enquête. Il y a anguille sous roche... et autour du commissaire Henry Baud, les policiers explorent toutes les pistes. 

L'auteure construit avec Henry Baud un personnage à la fois discret et attachant: on le voit oeuvrer avec méthode, de façon bien carrée, et coacher son escouade d'inspecteurs en les priant à plus d'une reprise de ne pas prendre d'initiatives. En contrepoint, l'auteure sait réserver des plages de légèreté autour de ce bonhomme: celui-ci a une copine, une vraie complice, qu'il rencontre selon un rituel précis (deux jours par semaine seulement). Le lecteur goûtera les dialogues piquants qui s'installent entre les deux amants! 

Enfin, Henry Baud est un passionné de puzzles, ce qui lui vaut le surnom de Monsieur Dix Mille Pièces. Ces puzzles, il les résout comme ses enquêtes: avec méthode et concentration. Le parallèle entre une intrigue policière à indices, qu'il faut collecter et faire coïncider pour reconstruire la vérité, et la construction d'un puzzle s'avère évidente. Enfin, il est permis de voir dans ce personnage qui préfère la rigueur aux éclats le reflet d'une certaine image de la Suisse, où se passe l'action: un pays calme, un peu terne peut-être (le pays a aussi ses banlieues sans âme), mais où tout se passe pour le mieux. 

Du moins en apparence: quand même, l'hypothèse de l'homicide volontaire se vérifie! Les indices collectés sont divers: un peu de la couleur de la voiture, un suspect qui boit trop, un chien disparu, deux chiffres incertains sur une plaque minéralogique, et même une tombe profanée. A cela vient s'ajouter un peu de psychologie, en vue d'arriver, de manière assez linéaire, jusqu'au coupable. Henry Baud n'a certes pas à se laisser attendrir; cela dit, l'auteure dessine précisément les arguments qui s'entrechoquent dans l'esprit du commissaire au moment des aveux. 

Catherine Gaillard-Sarron offre avec "Délit de fuite" un petit roman policier classique, cohérent et bien construit, qui prend le temps d'explorer les âmes humaines (celle de Henry Baud, mais aussi celle du coupable, qui a ses raisons d'agir comme il l'a fait) et ne néglige pas les moments de légèreté. En définitive, c'est un livre qu'on lit rapidement, porté par un style fluide et agréable.

Catherine Gaillard-Sarron, Délit de fuite, Chamblon, CGS, 2016.

dimanche 15 janvier 2017

Dimanche poétique 285: Bénédicte Gandois

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line],Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

Gare de Vallorbe

J'attends les crinolines, 
Les enfants qui courent en tous sens,
Dans la selle immense des pas perdus;

J'attends les souffles, les vapeurs,
Les sifflets, les cris, les bagages,
Les malles, les poignées de cuir, les chapeaux droits...

J'attends les crinolines,
Les enfants qui courent en tous sens,
Dans la salle immense des pas perdus.

Dans quelques jours la fête à Vevey,
Des mots britanniques, et sur chaque visage,
La joie; l'horloge en haut, la voix du machiniste...

Le hall résonne, les quais sont pleins,
Du buffet se répandent mille odeurs,
La terrasse au-dessus de la ville rayonne:

J'attends les crinolines,
Les enfants qui courent en tous sens,
Dans la salle immense des pas perdus.

Ce matin d'été flamboie,
De tous côtés la vallée vibre
Et se répondent les flancs du Jura;

Dans quelques jours la fête à Vevey,
Le train reprend son souffle,
Bientôt s'achèvera le long voyage...

J'attends les crinolines,
Les enfants qui courent en tous sens,
Dans la salle immense des pas perdus...

Bénédicte Gandois (1979- ), Carnets de TGV suivi de Eclats, Cossonay-Ville, Editions de la Maison rose, 2010.

vendredi 13 janvier 2017

Amour et nature en poésie avec Benjamin Jichlinski

Benjamin Jichlinski – Après une première publication à Paris au titre très baudelairien de "En mal de fleurs", le jeune poète suisse Benjamin Jichlinski continue de tracer sa route. En fin d'année 2016, il a donné à ses lecteurs un deuxième recueil intitulé "A jamais perdu". L'édition s'est faite en Suisse cette fois. Et il s'agit d'un recueil de poésies d'une belle unité de ton et de thèmes, qui se souvient des grands poètes du dix-neuvième siècle et tourne autour des thèmes de la nature et, surtout, de l'amour.

Un rythme émerge des poèmes qui constituent le recueil, rythme créé par une forme où le quatrain est très présent. Il n'empêche que le poète ne s'enferme pas dans un formalisme absolu: plus d'un vers a l'apparence d'un alexandrin, mais quand on y regarde de plus près, cette longueur de vers ancestrale s'avère éclatée, par exemple au gré de césures décalées. Il en résulte une impression d'instabilité, d'inquiétude. Ce jeu formel va cependant un peu trop loin dès lors que l'auteur met l'accent sur celle-ci, par un titre par exemple, sans s'y tenir tout à fait: sa "Légende hendécasyllabienne" en 12 vers est hantée par quelques décasyllabes de bon aloi mais un peu courts... Quant aux rimes, elles s'avèrent libres, assument leur pauvreté comme leur richesse. La pauvreté pouvant être vue comme une richesse, bien sûr!

Nature, environnement... un thème annoncé dès la belle couverture de l'ouvre, signée Kenny Brandenberger. Nous avons dit que la forme, dans ses libertés, trahissait une certaine inquiétude; la voici exprimée, dès le premier poème, "Fils", qui annonce que les valeurs d'aujourd'hui sont le travail et l'argent, et qu'il faut s'y soumettre, alors que la nature et ses manifestations s'en vont. Ici déjà apparaît, de loin, le procédé classique de l'allégorie, qui permet à l'auteur de donner corps à des idées abstraites, dans un état intermédiaire entre le concept et les "mains dans le cambouis". Un procédé qu'on a un peu oublié et que l'auteur revisite ici au goût du jour.

Espérance, Panique, Liberté, Soumission voient ainsi le jour et existent le temps de deux ou trois poèmes. Certains d'entre eux revêtent l'allure d'apologues concis, de légendes express. Ces personnalisations nouvelles viennent compléter un panthéon païen et cosmopolite (les dieux grecs sont là, mais aussi des divinités nordiques) pour lequel le poète semble avoir une certaine tendresse. Celle-ci contraste avec la vision renvoyée de la religion chrétienne, démonétisée. Une vision bien en phase avec notre Europe sécularisée...

... il est aussi question d'amour dans "A jamais perdu". Les poèmes consacrés à ce thème viennent faire un contrepoint aux textes allégoriques ou penseurs et donnent la parole à un poète admiratif face à la beauté des femmes ("Osmose", contemplatif) et, dans certains cas, plutôt passif. Les divinités illustrent les sentiments, font même le lien ("Création"); l'auteur n'hésite pas à s'adresser à l'être aimé, quel qu'il soit - avec des images parfois déjà vues, certes.

Le poème "Aux poètes" pourrait être vu comme le programme de "A jamais perdu", reflétant le métier de poète comme une tension permanente, exigeante, entre la forme, l'inspiration, l'idée, le sens et même la beauté - des figures écrites tantôt avec une majuscule, tantôt sans, ce qui suggère l'importance que l'auteur leur accorde. Force est de dire, en fin de lecture, que l'auteur a le plus souvent su sortir des "bas-fonds d'une âme emplie de clichés". Il offre ainsi aux lecteurs amis de la poésie un ouvrage aux apparences classiques un brin trompeuses, témoignage recherché de la personnalité de l'auteur.

Benjamin Jichlinski, A jamais perdu, Pailly, Editions du Madrier, 2016, préface de Luce Péclard.

jeudi 12 janvier 2017

Joseph Joffo avant "Un sac de billes"

Lu par Nanne.

Joseph Joffo – Nombreux sont celles et ceux qui, de Joseph Joffo, ont lu "Un sac de billes", puis ont enchaîné avec "Baby-foot". Ce sont pour moi des lectures anciennes déjà. Et en 2009, j'ai eu le plaisir de rencontrer l'écrivain au Salon du livre de Genève, où il tient chaque année un stand à lui tout seul. C'est lui qui m'a proposé de boucler la boucle en m'invitant à lire "Agates et calots", qui relate les deux ou trois années qui précèdent "Un sac de billes". Soit une enfance avant l'étoile jaune.

Revenir à cet écrivain lu il y a longtemps est un plaisir. "Agates et calots" est un roman dynamique, porté par un style efficace et familier. Cette manière d'écrire est parfaitement adéquate pour donner corps au Joseph Joffo des années d'avant-guerre: on découvre un gamin déjà bien dégourdi pour son âge (entre 7 et 9 ans), qui fait les quatre cents coups et participe à des combines entre le dix-huitième arrondissement de Paris et la banlieue de Freinville (commune de Sevran). Il fait aussi ses expériences, prend sa première cuite au monbazillac, tombe amoureux, cherche à s'imposer alors qu'il est le cadet d'une fratrie nombreuse.

L'auteur a soin de dépeindre son entourage avec soin, en particulier son frère Maurice, dont il est particulièrement proche malgré quelques disputes bien normales. On redécouvre là un grand frère crâneur, qui ne s'avoue jamais vaincu et est prêt à foncer dans plus d'une combine "pour quelques billes de plus" (pour rappeler le titre de son propre livre). Cela, pour le rêve: nourris de westerns avec Tom-Mix vus au cinéma, les deux frères projettent de s'installer en Amérique et d'y faire fortune. Mais il faut payer le voyage...

Rêves, péripéties d'enfance, ambiances familiales: c'est ce que l'auteur a choisi de mettre en avant dans "Agates et calots". L'auteur explique la prise de conscience de son statut de Juif, pose des questions comme le ferait un enfant. Il constate aussi que souvent, il suffit de se côtoyer, de se connaître un peu mieux, pour que par miracle, on finisse par s'entendre, loin des préjugés. Les religions elles-mêmes s'avèrent assez poreuses... Assez lointaine encore, la mise en place du régime nazi arrive par bribes, puis par éclats de plus en plus concrets au salon de coiffure parisien où travaille la famille Joffo. Cela, jusqu'à ce que la guerre éclate: Albert, l'un des grands frères de Joseph, doit partir au front. Et petit à petit, face à l'occupant, on se replie sur Menton...

Paru en 1995 à la demande de certains lecteurs férus, "Agates et calots" reflète un certain art de vivre, populaire, retracé avec vivacité. Dans sa préface, l'auteur met en évidence la foi que les parents Joffo, qui ont fui les pogroms d'un autre pays, ont placée dans la France, nation des Droits de l'homme, dont la devise est "Liberté, égalité, fraternité". Qu'en adviendra-t-il? Le lecteur le sait...

Joseph Joffo, Agates et calots, Paris, Elytel Editions 2007.

mercredi 11 janvier 2017

Charles Nemes, un demi-siècle de vie à la puissance deux

Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi!

Deux quinquagénaires, il n'en faut pas moins pour faire un siècle entier de vie! Avec "Deux enfants du demi-siècle", l'écrivain, cinéaste et scénariste français Charles Nemes retrace le parcours de deux adolescents devenus adultes puis aînés, qui se sont étreints dans leur jeunesse et que la vie va rapprocher. Cela, sur le fond d'une seconde moitié de vingtième siècle où résonnent encore les bruits fracassants de la Seconde guerre mondiale.

"C'était la première lettre anonyme que Toussaint Legrand recevait de sa vie, et elle le condamnait à la mort professionnelle." Le roman est écrit à deux voix. Il est intéressant de noter que celles-ci sont présentes dans cette phrase, qui sert d'incipit et positionne l'un des personnages à un tournant de sa vie. Toussaint sera donc l'homme, et l'expéditrice de la lettre anonyme, une fonctionnaire d'ascendance juive nommée Thérèse, sera la femme.

A partir de là, l'auteur dessine un jeu raffiné d'allers et retours entre le passé et le présent des deux personnages. On l'a dit, la vie les a unis brièvement, pour un dépucelage entre adolescents décrit de manière sensible et somptueuse à la fois, puis séparés, avant de les rapprocher à nouveau. Avec une question difficile: peut-on réussir une deuxième première fois? Le lecteur veut y croire, les personnages se donnent leur chance; mais l'écrivain sait que c'est un peu plus compliqué que ça, et n'en fait pas mystère. Ce qui donne une belle épaisseur au propos.

C'est que chacun des personnages a un vécu, qui constitue l'essentiel du propos de "Deux enfants du demi-siècle", qu'on voit grandir et vieillir à leur manière. Délicat, l'auteur a le chic de faire traverser le siècle à ses deux personnages en toute légèreté, tout en disant les aléas et les difficultés de la vie, les habitudes telles que la cigarette ou l'alcool, qui s'accumulent et qu'on garde en soi - ou pas.

De Toussaint Legrand, l'auteur dresse le portrait d'un personnage un peu trop gentil, pas ambitieux pour deux sous malgré une grande intelligence: il devient correcteur pour un éditeur parisien, et ne cherche pas à devenir écrivain. Quant à Thérèse, devenue fonctionnaire, elle cherche sa place entre un père rabbin, un fils militaire en Israël et un besoin de rejeter une tradition juive devenue pesante. Cela, avec un certain sourire je l'ai dit: il n'est qu'à voir la manière dont l'auteur raconte la fois où Thérèse mange sa première tranche de jambon... vendue par un épicier musulman.

A cela vient s'ajouter la famille, qui n'est jamais lointaine dans "Deux enfants du demi-siècle": parents, anciens conjoints, enfants, c'est tout un petit monde que l'écrivain dessine autour de ses deux personnages, se demandant quelle est son emprise sur eux.

Enfin, l'histoire récente, vue de Paris, confère un arrière-plan solide à ce roman. On frôle Mai 68, les personnages vivent dans une grande liberté la parenthèse enchantée incluse entre le moment de la commercialisation de la pilule contraceptive et celui de l'apparition du sida; c'est donc un tableau de moeurs changeantes qui émerge ainsi. La musique est bien présente, Bob Dylan en tête; apparaissent également des musiciens de blues méconnus ou les pièces sévères de Dietrich Buxtehude. Enfin, la question de la judéité et ses enjeux traverse "Deux enfants du demi-siècle", gagnant peu à peu en force et en présence pour devenir essentielle en fin de roman. Le récit "Si c'est un homme" de Primo Levi apparaît ainsi comme un motif récurrent, permettant à Toussaint, issu d'une famille catholique, d'approcher ce thème.

Comment faire pour réussir sa deuxième fois? L'auteur achève "Deux enfants du demi-siècle" sur une note en demi-teinte, suggérant à la fois la nécessité et l'impossibilité de faire revenir le temps passé, sa virginité, son innocence. Sans lourdeur, et c'est ce qui rend cette lecture particulière et spécialement agréable, il montre un monde qui change et des personnages sans cesse en quête de repères. Et l'amour, le vrai, sera-t-il un repère ultime?

Charles Nemes, Deux enfants du demi-siècle, Paris, HC Editions, 2017.

lundi 9 janvier 2017

Un roman policier rêvé, selon les règles de Marie-Jeanne Urech

Le site de l'éditeur, celui de l'auteure.

Il y a une ville en Finlande qui s'appelle Malax, dans la région d'Ostrobotnie, à l'ouest du pays. Peut-être que la romancière suisse Marie-Jeanne Urech y a pensé; mais à l'esprit du lecteur francophone, le titre de son dernier livre "Malax" fait plus immédiatement songer au verbe "malaxer". Et c'est vrai que dans ce roman, qui est aussi son premier polar, l'écrivaine remue à pleines mains les codes du genre pour en faire quelque chose à sa manière, à la fois semblable et infiniment différent d'un roman policier ordinaire. 

Loin d'évoquer la finlandaise Malax, la ville sans nom où se passe l'action de "Malax" réunit quelques caractéristiques de localités francophones, dans un esprit ludique. Le théâtre du Salpétrin, évoqué non loin d'un hôpital Delacouleuvre, renvoie ainsi au parisien hôpital de la Salpêtrière. Les rues sont bien francophones, et le Bâtiment des forces générales emprunte son nom au Bâtiment des forces motrices de Genève, ancienne usine hydraulique devenu salle de spectacles et également nommé "Usine hydraulique de la Coulouvrenière". Un nom qui se rapproche à nouveau de celui de l'hôpital précité. Genève ou Paris? On penche pour une Genève transfigurée. 

"C'est un troupeau", commence ce roman. Une première phrase courte, lapidaire, qui donne aussi un fil directeur. On peut voir en effet "Malax" comme une sorte d'esthétique du troupeau et e ce qui peut en dépasser et doit, éventuellement, être éliminé. Ce troupeau où tout le monde ou presque porte le même prénom apparaît vêtu de noir, en complet et chapeau melon, à la sortie d'une usine. La couleur sera fatale à l'un des membres de ce troupeau: il suffit d'un rose aux joues pour mourir. Les innombrables caméras de surveillance, bergers modernes, s'avèrent incapables de capter cette couleur due aux sentiments: elles n'enregistrent qu'en noir et blanc. 

Là-dessus se greffe une intrigue policière aux apparences classiques, mais qui triture et malmène (pour ne pas dire "malaxe") plus d'un code du genre. Sans dévoiler le fin mot de l'affaire, l'arme du crime surprendra les amateurs de poisons et d'armes à feu. L'enquête s'avère compliquée par la ressemblance qui prévaut entre tous les personnages du roman: tout le monde s'habille en complet et chapeau melon et, unique coquetterie tolérée, les femmes peuvent orner leur chapeau d'une plume. Une difficulté qui peut s'avérer bien pratique si l'on sait y faire... autant dire que si Marie-Jeanne Urech choisit d'écrire un polar, c'est encore une fois selon des règles qu'elle seule a fixées, nimbées d'un onirisme familier de ses lecteurs, parent d'un certain René Magritte.

Un onirisme qui garde cependant les pieds sur Terre, par exemple lorsqu'il s'agit d'évoquer ce qui se passe dans le fameux Bâtiment des forces générales: nombreux sont les collaborateurs qui y viennent pédaler pour produire du courant, victimes de restructurations qui génèrent des coupures de courant et d'optimisations qui les font passer de vélos immobiles à des tricycles. Ainsi apparaissent les limites possibles de l'énergie électrique douce produite par l'être humain, susceptible de devenir un outil d'exploitation de l'homme par l'homme... Comme plus d'un professionnel aujourd'hui, le policier est mis sous pression par sa hiérarchie, en l'espèce au moyen d'une hypothétique médaille honorifique, ce qui permet un supplément de dramatisation du propos. Quant aux caméras de surveillance, innombrables et précises à la seconde près, elles s'inscrivent dans l'obsession sécuritaire d'aujourd'hui, et positionnent ainsi "Malax" face à l'actualité: sous ses airs surréalistes et presque intemporels, mine de rien, ce roman interroge la société d'aujourd'hui.

Un mot encore sur la postface de "Malax", signée de l'excellent écrivain Pierre Yves Lador. Elle est le témoignage nourri d'un lecteur à l'esprit affûté; et à ce titre, elle met au jour mille signes que ce roman recèle. Ce ne sont pas les mêmes que ceux que j'évoque ici, signe que le dernier opus de Marie-Jeanne Urech, si bref qu'il soit, est riche et peut être lu à plus d'un niveau, avec un bonheur inchangé. Et ça, c'est génial.

Marie-Jeanne Urech, Malax, Vevey, Hélice Hélas, 2016. Illustrations de Frédéric Farine, postface de Pierre Yves Lador.

dimanche 8 janvier 2017

Dimanche poétique 284: Jeanclaude Roy

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line],Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

L'éternel retour

Ton ombre sur le mur éclatant de blancheur: 
Obsédante présence; et le choeur de la mer
Qui rejette l'écume énervée et amère
Tressaillent sous les vents, sous leur esprit vengeur.

Ton pas dans l'escalier pour venir jusqu'à moi
Se décide et se risque aux marches de travers.
Des plantes et des fleurs joncent déjà la terre,
Géométries parfaites, granit est en émoi.   

Nous voici assemblés, prêts à lever la voile;
Etonnés d'être enfin arrivés sur le quai
Surveillé par Eros préparant son archet.

Notre chemin commence, dirigé vers l'étoile.
Légers objets d'azur et de nuit alternés,
Deux enfants éternels nous voilà donc renés.

Jeanclaude Roy, dans Moudon, Le Scribe, n° 60, octobre 2007.