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Deux quinquagénaires, il n'en faut pas moins pour faire un siècle entier de vie! Avec "Deux enfants du demi-siècle", l'écrivain, cinéaste et scénariste français Charles Nemes retrace le parcours de deux adolescents devenus adultes puis aînés, qui se sont étreints dans leur jeunesse et que la vie va rapprocher. Cela, sur le fond d'une seconde moitié de vingtième siècle où résonnent encore les bruits fracassants de la Seconde guerre mondiale.
"C'était la première lettre anonyme que Toussaint Legrand recevait de sa vie, et elle le condamnait à la mort professionnelle." Le roman est écrit à deux voix. Il est intéressant de noter que celles-ci sont présentes dans cette phrase, qui sert d'incipit et positionne l'un des personnages à un tournant de sa vie. Toussaint sera donc l'homme, et l'expéditrice de la lettre anonyme, une fonctionnaire d'ascendance juive nommée Thérèse, sera la femme.
A partir de là, l'auteur dessine un jeu raffiné d'allers et retours entre le passé et le présent des deux personnages. On l'a dit, la vie les a unis brièvement, pour un dépucelage entre adolescents décrit de manière sensible et somptueuse à la fois, puis séparés, avant de les rapprocher à nouveau. Avec une question difficile: peut-on réussir une deuxième première fois? Le lecteur veut y croire, les personnages se donnent leur chance; mais l'écrivain sait que c'est un peu plus compliqué que ça, et n'en fait pas mystère. Ce qui donne une belle épaisseur au propos.
C'est que chacun des personnages a un vécu, qui constitue l'essentiel du propos de "Deux enfants du demi-siècle", qu'on voit grandir et vieillir à leur manière. Délicat, l'auteur a le chic de faire traverser le siècle à ses deux personnages en toute légèreté, tout en disant les aléas et les difficultés de la vie, les habitudes telles que la cigarette ou l'alcool, qui s'accumulent et qu'on garde en soi - ou pas.
De Toussaint Legrand, l'auteur dresse le portrait d'un personnage un peu trop gentil, pas ambitieux pour deux sous malgré une grande intelligence: il devient correcteur pour un éditeur parisien, et ne cherche pas à devenir écrivain. Quant à Thérèse, devenue fonctionnaire, elle cherche sa place entre un père rabbin, un fils militaire en Israël et un besoin de rejeter une tradition juive devenue pesante. Cela, avec un certain sourire je l'ai dit: il n'est qu'à voir la manière dont l'auteur raconte la fois où Thérèse mange sa première tranche de jambon... vendue par un épicier musulman.
A cela vient s'ajouter la famille, qui n'est jamais lointaine dans "Deux enfants du demi-siècle": parents, anciens conjoints, enfants, c'est tout un petit monde que l'écrivain dessine autour de ses deux personnages, se demandant quelle est son emprise sur eux.
Enfin, l'histoire récente, vue de Paris, confère un arrière-plan solide à ce roman. On frôle Mai 68, les personnages vivent dans une grande liberté la parenthèse enchantée incluse entre le moment de la commercialisation de la pilule contraceptive et celui de l'apparition du sida; c'est donc un tableau de moeurs changeantes qui émerge ainsi. La musique est bien présente, Bob Dylan en tête; apparaissent également des musiciens de blues méconnus ou les pièces sévères de Dietrich Buxtehude. Enfin, la question de la judéité et ses enjeux traverse "Deux enfants du demi-siècle", gagnant peu à peu en force et en présence pour devenir essentielle en fin de roman. Le récit "Si c'est un homme" de Primo Levi apparaît ainsi comme un motif récurrent, permettant à Toussaint, issu d'une famille catholique, d'approcher ce thème.
Comment faire pour réussir sa deuxième fois? L'auteur achève "Deux enfants du demi-siècle" sur une note en demi-teinte, suggérant à la fois la nécessité et l'impossibilité de faire revenir le temps passé, sa virginité, son innocence. Sans lourdeur, et c'est ce qui rend cette lecture particulière et spécialement agréable, il montre un monde qui change et des personnages sans cesse en quête de repères. Et l'amour, le vrai, sera-t-il un repère ultime?
Charles Nemes, Deux enfants du demi-siècle, Paris, HC Editions, 2017.