Anne-Frédérique Rochat – "Le trouble", c'est un tout petit monde que le lecteur est invité à observer de tous ses yeux, au moins. Soudain, le mensonge injecte son venin dans un couple, et l'écrivaine Anne-Frédérique Rochat en décrit les effets sur Armelle, épouse d'un Léonard dont les absences au foyer domestique s'expliquent par une présence chez une autre femme.
"Le trouble" met en scène une Armelle soudain passionnée par la surveillance de son mari: elle prend une chambre d'hôtel dans l'impasse où Léonard disparaît, avec vue sur l'appartement d'en face, celui où il mène sa double vie, une vie de famille qui s'oppose à la vie de couple qu'il vit avec Armelle. Voyeure, Armelle embarque dans son trip un lecteur qui se demande où tout cela va se terminer.
Personnage de voyeur, Armelle n'est qu'yeux à plus d'un titre: son métier d'oculariste consiste à fabriquer des yeux de verre. Avec eux, elle se constitue un monde à part, fait de globes de toutes les couleurs, qu'elle considère comme attachants, voire émouvants. L'auteure décrit ce métier en profondeur, jouant aussi sur l'émotion résultant d'une telle création artisanale: les yeux créés par Armelle semblent ainsi avoir une âme, une personnalité, à telle enseigne qu'il peut être difficile de s'en détacher.
C'est entendu: c'est par Léonard que le mensonge arrive dans le couple, contraignant Armelle à réagir à son tour de manière trompeuse. Les prétextes sont classiques: surcroît de travail, sortie au cinéma. L'auteure fait de chaque moment de partage entre eux une partie de poker menteur virtuose, fondée sur des dialogues de sourds, des questions sans réponse et des non-dits. Il est permis de considérer que la rue de la Clef, une impasse, constitue la métaphore des impasses liées au mensonge. Et que c'est là que se trouvera le dénouement, la clé de l'intrigue.
L'écrivaine radiographie ainsi un couple qui part à la dérive. Mais la nuance est aussi là: c'est avec exactitude que la romancière décrit les états d'âme d'une épouse délaissée mais toujours aimante, évoluant entre déni et défense, allant même jusqu'à chercher des excuses à son mari volage. Quant à Léonard l'opticien (la vue, encore!), la romancière le laisse vivre, sûr de ses mensonges comme de sa cuisine, imperméable à toute explication.
On se demande dès lors où l'on va arriver, et la finale, changement de focalisation inclus, correspond à l'un des possibles. Cela, avec une question qui reste en suspens si j'ai bien compris: l'amante sait-elle qu'elle a tué, en définitive, l'épouse de son amant? Ou, dans son esprit, s'est-elle juste débarrassée d'une folle qui l'espionnait?
Il y a un côté comédie de mœurs dans "Le trouble", porté par ses douzaines d'yeux de verre qui viennent s'ajouter à ceux, curieux, du lecteur: une partie de l'intrigue est vue d'un hôtel sans nom, baptisé par commodité l'hôtel "Hôtel". Au fil des pages la romancière décrit finement, jusque dans leurs demi-teintes et faux-semblants, les aléas d'un couple devenu malgré lui un ménage à trois, contaminé par le mensonge.
Anne-Frédérique Rochat, Le trouble, Genève, Slatkine, 2024.
Le site d'Anne-Frédérique Rochat, celui des éditions Slatkine.
peut-être... ça ne sent-il pas un peu le réchauffé tout ça?
RépondreSupprimerBonsoir Violette! C'est à découvrir, mais je ne l'ai pas ressenti comme réchauffé. Je te souhaite un bon dimanche!
Supprimer