vendredi 11 septembre 2020

Une adolescence en cinquante chansons

Mon image

Sylvia Hansel – Il faut croire que le temps est aux autobiographies. Avec "Cannonball", l'écrivaine Sylvia Hansel prend son lectorat par la main pour lui faire traverser son adolescence. Elle est compliquée, cette adolescence, mais c'est aussi ce moment où la vie de l'auteure se décide: ce sera musique ou rien. Du coup, rien de tel que d'évoquer cinquante chansons marquantes, qui rythment autant de chapitres.

Collège, lycée, entrée à l'université: c'est ce que relate "Cannonball". Et si l'adolescence est compliquée, c'est que la narratrice se retrouve ballottée entre ses parents divorcés et des établissements scolaires où elle n'est pas forcément populaire, avec son look perçu comme bizarre et ses penchants musicaux régulièrement considérés par ses jeunes contemporains comme des "goûts de vieux" – d'autres diraient qu'elle connaît ses classiques, ce qu'elle présente comme une forme de distinction. Ces décalages lui valent des situations qui, aujourd'hui, seraient identifiées comme une forme de harcèlement scolaire. Mais dans les années 1990, on n'en parlait pas...

Dès lors, la musique, spécialement anglo-saxonne, apparaît comme un refuge et un repère pour la narratrice, qui trouve cinquante chansons qui, pour le meilleur et pour le moins bon, auront été marquantes. L'auteure décrit avec un enthousiasme sincère les emportements passionnés qu'ont pu susciter certains titres, pas forcément célèbres d'ailleurs. De ces jalons marquants, le lecteur retient les Rolling Stones, les Pixies ou, point de départ s'il en est, The Velvet Underground & Nico, avec sa banane emblématique. 

Au fil des pages, se révèle également l'éveil à une forme de conscience politique, construite sur les positionnements de droite vus comme des repoussoirs (les propos racistes ou jugés "beauf" récurrents lors de repas de famille, par exemple) et sur le développement d'une sensibilité féministe. Cela, au contact des gens: sa famille, mais aussi les amoureux successifs, qui sont autant d'histoires d'amour décalées, médiocres ou pas forcément souhaitées même si elles ne sont pas franchement rejetées. Une sorte de zone grise des amours et du consentement, terne mais avec la tentation du confort.

"Cannonball" est aussi un roman générationnel qui parlera à tous ceux qui ont découvert les musiques à la mode dans les années 1990. Bien sûr, il y a les noms cités à l'envi, célèbres ou discrets: il y aura du Lou Reed au menu, mais aussi quelques artistes approximatifs, et touchants parce qu'ils le sont, ou alors des interprètes à la mode comme "The Presidents of the United States of America" ou Alanis Morrissette. Mais il y a plus: l'auteure rappelle avec insistance cette époque où l'on copiait les disques et les chansons qui passaient à la radio sur des cassettes audio, et où un texte de chanson se méritait parce qu'il ne vous tombait pas tout cuit dans la gueule grâce à l'ami Google. Bien sûr, c'était aussi le temps béni où les cabines téléphoniques étaient plus courantes que les téléphones portables, et le temps maudit où le dernier train pour rentrer chez soi partait à même pas 21 heures...

L'écriture est vigoureuse, gouailleuse parfois, toujours cash. La narratrice ne recule même pas devant la mauvaise foi assumée, en particulier lorsqu'elle accuse de tous les maux la pauvre Opel Corsa de sa mère (mais rendons-lui justice: ces voitures, c'étaient des tracteurs!). Cette narratrice, c'est une jeune femme qui se cherche dans un environnement ingrat: banlieue parisienne peu profilée, famille dysfonctionnelle et étalée un peu partout. Surtout, avec "Cannonball", l'auteure fait œuvre: reprenant certains éléments de son premier roman "Noël en février", notamment sentimentaux, elle suggère que ce qu'elle masquait sous l'appellation de roman est en fait l'humble vérité – et que la fictive Camille de "Noël en février" est le double romanesque de la "réelle" Sylvia de "Cannonball".

Sylvia Hansel, Cannonball, Paris, Intervalles, 2020.

Le site de Sylvia Hansel, celui des éditions Intervalles.

2 commentaires:

  1. Bonjour, je partage ton avis -comme d'habitude- c'est cash et drôle et rock. Et l'on sent toute la difficulté pour sortir du lot et se forger des opinions et une personnalité

    RépondreSupprimer

Allez-y, lâchez-vous!