mardi 22 mai 2018

Une inextinguible soif de sens et d'authenticité, jusque dans les rêves

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Antoine Jaquier – Le roman d'une jeunesse fauchée en plein vol, mais aussi d'adultes en quête de sens: les jeunes générations, en particulier la génération Y, sont à l'honneur dans "Légère et court-vêtue". Paru une première fois aux éditions de La Grande Ourse, ce roman de l'écrivain suisse Antoine Jaquier a fait l'objet d'une nouvelle édition auprès de L'Age d'Homme. Roman à deux voix, "Légère et court-vêtue" suit Mélodie, blogueuse mode, et Tom, son compagnon, dépendant aux jeux d'argent.


Leurs deux voix sont bien caractérisées, et permettent d'emblée au lecteur de se sentir proche de ces deux personnages, ou plutôt d'avoir un ressenti envers eux. Il est permis de trouver Tom agaçant: toujours à la recherche d'argent pour assouvir sa passion du jeu, il en vient à négliger le facteur humain, et en premier lieu sa relation à Mélodie. Photographe sans grande envergure, parasite par nécessité, il fait figure d'esclave des biens matériels. De son côté, Mélodie, apparemment plus aimable dans des robes qu'elle porte légères, est elle aussi victime d'un système consumériste, avouant la pression qu'elle subit de la part d'annonceurs, qui la rétribuent certes, pour publier toujours plus et toujours mieux (photos, Instagram, YouTube, rien ne manque) sur son blog.

Telles sont les servitudes d'une génération; à celles-là vient s'ajouter celle que paraît imposer une certaine religion, y compris aux hommes – on pense au personnage de Blerim, à la fois aimable et invivable: mentalité, contraintes, un certain sens de l'honneur. Cela se mêle au poids des liens familiaux, au travers de l'équipe de mafieux kosovars auxquels Tom doit de l'argent de façon chronique. Un fardeau qui donne cependant de l'épaisseur à ces personnages interlopes.

Revenons à Mélodie, archétype de l'it-girl, active à Lausanne. Le décor est assez rapidement planté et ne compte guère, en tout cas du côté suisse, si l'on excepte une scène visuelle et très amusante à l'auberge des Quatre-Vents, non loin de Fribourg. Au-delà du gag, cependant, la séquence est symptomatique de la vanité de certaines choses dites "branchées": faut-il vraiment qu'une chambre d'hôtel soit dotée d'une baignoire montée sur rails, qu'on peut faire sortir de sa chambre à sa guise en appuyant sur un bouton, si ce n'est pour épater le bobo? C'est là l'un des premiers éléments que l'auteur dissémine dans son roman pour indiquer l'absurdité du monde.

Il y a aussi les débats des milieux parisiens de la mode sur l'opportunité d'interdire les mannequins jugés trop maigres, ou les discussions qui ne vont guère plus loin que l'illusion procurée par une promesse et des cartes de visite échangées. Vers la fin du roman, la description d'une fête parisienne de ce genre, aussi clinquante que vide, où l'on va surtout pour être vu, a des airs de Bret Easton Ellis, façon "Glamorama". Et ce vide mondain résonne avec celui, intérieur, de Thomas et de Mélodie aux amours ébréchées, puis brisées sans rémission.

Thomas finit par se perdre, alors que Mélodie, désormais seule, évolue, s'interroge, allant jusqu'à mieux connaître ses penchants amoureux et ses aspirations professionnelles: impression de plénitude! Et l'ambiance festive aux allures bon enfant des dernières pages, jouant avec quelques idées à la mode comme la décision d'un personnage de devenir brusquement végane dans de grands rires, tranche avec le monde de requins dessiné précédemment par l'auteur. Mais n'est-ce pas, déjà, trop beau pour durer?

Espoirs fauchés un tragique soir de novembre, impossibilité de la liberté: le roman d'Antoine Jaquier n'a rien à voir avec un film de Jean Laviron avec Louis de Funès (1953)! Il est plus proche du pot au lait brisé de la rêveuse Perrette de la fable de La Fontaine, comme l'évoque Francis Richard dans sa chronique. L'écrivain livre en effet avec "Légère et court-vêtue" un roman cinglant et foncièrement sombre, en dépit de quelques éclats de lumière, sur une société occidentale, celle d'aujourd'hui, qui se cherche désespérément un sens, et une authenticité jusque dans ses rêves.

Antoine Jaquier, Légère et court-vêtue, Lausanne, L'Age d'Homme, 2018.

Le site d'Antoine Jaquier, celui des éditions L'Age d'Homme.


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