Vesna Maric – "Je me souviens d'un bout de séquence télévisée devenu légendaire depuis." Le ton est donné: à l'ère des médias, c'est à un livre de souvenirs que l'écrivaine Vesna Maric invite ses lecteurs. "Le Merle bleu" est en effet le témoignage de sa destinée: celle d'une Bosnienne de seize ans qui a quitté son pays, avec un groupe de femmes et d'enfants, au temps des guerres qui ont déchiré la Yougoslavie dans les années 1990. C'est en 1992 que commence cette tranche de vie...
Le témoignage suit le temps chronologique, de manière linéaire, montrant une jeune fille qui grandit, ballottée dans un long voyage vers l'Angleterre puis d'un lieu d'accueil à l'autre. Elle va y vivre son adolescence tout en s'efforçant de trouver son chemin dans la vie. Le lecteur voit ainsi Vesna Maric faire doucement son trou dans les petites villes anglaises tristes, entre amitiés éphémères, amours, scolarité et emplois précaires en attendant d'être reconnue comme réfugiée par la Couronne. Certes, l'adversité est là, et il arrive à l'auteure de désespérer. Mais elle a toujours les ressources pour rebondir.
Ce témoignage est empreint d'un certain humour, délicat souvent, vigoureux parfois, qui contrebalance le caractère dramatique d'une destinée transformée par l'Histoire. L'auteure, en effet, n'est jamais en retard d'une anecdote, ni d'un portrait. Ainsi en est-il de telle famille de réfugiés qui devient millionnaire en jouant au loto: dans l'esprit d'une nouvelle, l'auteure prend un malin plaisir à décrire la façon dont les joueurs choisissent leurs numéros, soit en restant fidèles à une combinaison, soit en se référant à des éléments extérieurs et inspirateurs. Il est permis de sourire aussi, mais de façon moins gratuite, face à la description de certains personnages: il y a cette femme qui se retrouve enceinte à 52 ans, ou l'épouse du médecin qui prétend avoir trois pacemakers mais fume en cachette dans le bus, alors que le voyage est éprouvant.
"Le merle bleu" est le regard d'une demandeuse d'asile sur le monde, et son observation du pays d'accueil s'avère acérée. Le lecteur appréciera la première impression d'échange entre autochtones anglais et migrants bosniens sur la meilleure manière de faire du café. La narratrice se souvient aussi du regard que ces Anglais portent sur les immigrées, peinant à croire qu'elles ont quitté un pays où elles n'avaient pas moins qu'eux en termes matériels. Abus, petites jalousies autour de manteaux de fourrure: tout y passe, avec constamment un sourire en coin.
On sourit en effet beaucoup dans "Le Merle bleu", tout comme ses personnages rient à plus d'une reprise, en dépit de l'adversité et de l'adaptation pas toujours aisée à un environnement nouveau – pour ne dire qu'un exemple, l'obstacle de la langue s'avère insurmontable pour plus d'une personne migrante. Loin de tout misérabilisme, simplement à hauteur humaine, "Le Merle bleu" est le témoignage original, volontiers souriant, d'une personne qui, face à des circonstances particulières, a su faire ses premiers pas dans la vie des grands et s'intégrer dans un nouveau pays, en en adoptant les mœurs avec détermination, sans pour autant oublier des origines dont le souvenir fluctue mais demeure vivace.
Vesna Maric, Le Merle bleu, Paris, Intervalles, 2018, traduction par Marie Poix-Tétu.
Le site des éditions Intervalles.
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