Neil Gaiman – Être fils de dieu, est-ce vraiment tentant? Et avoir un frère, alors? Tout commence ainsi avec "Anansi Boys", roman de fantasy majeur de l'écrivain britannique Neil Gaiman. C'est autour du très sage et très maladroit Gros Charlie Nancy que tout commence, et le lecteur observe avec commisération ce brave employé d'une entreprise de comptabilité londonienne qui travaille pour les stars et connaît un turnover important.
Son frère Mygal, homme araignée, apparaît par contraste comme une figure des plus charismatiques, capable de vendre ses mensonges à coup sûr et de briller dans les karaokés. Eh oui: c'est Mygal qui a hérité de toutes les qualités de son dieu de père. Mais il suffit que Mygal et Gros Charlie se rencontrent pour que l'histoire décolle, révélant diverses porosités.
Il arrive en effet qu'un jeu de vases communicants se mette en place entre les deux personnages, qui se transmettent sans vraiment le vouloir leurs capacités respectives. Ainsi, c'est le très effacé Gros Charlie qui finira chanteur, ce qui lui servira pour liquider son ancien employeur. L'auteur aime par ailleurs brouiller les pistes: il le fait en suggérant une forme de niveau intermédiaire entre la vie et la mort. C'est là qu'on trouve, entre autres, cette veuve qui espère récupérer les avoirs de son mari, une personne de petite taille qui assurait le spectacle dans un numéro devenu célèbre, donc théoriquement lucratif.
Peu à peu, l'auteur balade son lectorat autour de Mygal et de Gros Charlie, qui sont les moteurs d'un roman fantasmagorique et comique. Force est de relever l'humour de situation que l'auteur sait mettre en place; force est aussi de noter que l'écrivain sait construire des personnages hauts en couleur, franchement motivés à jouer leur jeu. On rencontre ainsi dans ce roman quelques vieilles dames ou des policiers dolents (surtout quand ça se passe à Saint Andrews, île imaginaire des Antilles).
Ce livre aurait mérité un style un brin plus nerveux dans sa version traduite en français signée Michel Pagel. Mais au fond, pourquoi en demander ça de plus? "Anansi Boys" est, en vrai, un roman foisonnant, bourré de nombreuses références issues de la culture populaire (on pense aux "Oiseaux" d'Alfred Hitchcock, entre autres), et en particulier musicale qui font swinguer les personnages et, par ricochet, les lecteurs eux-mêmes.
Ses personnages, quant à eux, sont clairement dessinés et se démarquent par un caractère marqué qui favorise un humour de situation constant. Il n'est pas inutile de préciser que ces personnages sont parfois des animaux humanisés, ce qui suggère que pour l'auteur, la frontière entre humanité et animalité n'est pas moins poreuse que celle qui sépare la vie de la mort.
"Anansi Boys" se présente dès lors comme un ample roman qui, plutôt dingue, secoue quelques limites et certitudes, allant jusqu'à oser imaginer un dieu mort, laissant comme n'importe quel mortel des descendants sur Terre. A eux de se débrouiller avec cette hérédité! La fin du livre suggère le retour à une certaine normalité, enfin: après tant de péripéties flamboyantes vécues çà et là, entre autres aux Etats-unis ou au Royaume-Uni, les dernières pages, mettant en scène Charlie et son jeune fils papotant avec une sirène sur la plage, apparaissent comme un bel apaisement final.
Neil Gaiman, Anansi Boys, Paris, J'ai Lu, 2008/première édition Au Diable Vauvert, 2005. Traduit de l'anglais par Michel Pagel.

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