Isabelle Flaten – La parole comme sujet d'un livre? C'est le thème que l'écrivaine Isabelle Flattent s'est proposé d'explorer. Il en résulte un bel ouvrage atypique et profond, "Se taire ou pas". Le plus souvent courts, parfois même foudroyants, les textes qui le composent adoptent la forme de l'aphorisme, du poème en prose ou de la courte nouvelle pour dire ce que l'on dit... ou pas – ce qui, si l'on considère que les silences sont significatifs eux aussi, est encore une manière de dire.
Le lecteur peut se sentir dérouté, dans les premières pages, par la manière dont l'auteure aménage son récit. Ses personnages ne sont pas du tout nommés, guère décrits, vivent le temps de quelques lignes: ce sont des silhouettes qui se caractérisent avant tout par la parole, sous toutes ses formes, prononcée ou non, entendue ou non. Et parfois, à l'extrême, l'histoire glisse même vers l'expression non verbale – allant jusqu'à faire penser à la pièce de théâtre "Le Silence" de Nathalie Sarraute, dès lors qu'il s'agit d'observer un convive pas du tout loquace.
Une fois qu'il a compris la démarche, le lecteur ne manquera pas de se reconnaître dans certaines situations, si ordinaires qu'elles soient (ou précisément parce qu'elles le sont). Un homme ou une femme de théâtre au long cours reconnaîtra ainsi les répliques usées d'avoir été trop dites; une personne se souviendra de ces mots qu'il n'aime pas entendre, qui le dégoûtent même. Une histoire d'amour peut-elle tourner court dès qu'une des personnes commence à parler? Et qu'en est-il de la franchise des mots, est-elle obsolète comme le suggère ce trait fulgurant et actuel, une séquence à lui tout seul: "Il est désolé de les avoir heurtés mais c'est vrai, il s'exprime à l'ancienne, sans euphémisme."
Apparaissant comme une série intrigante de tableaux abstraits, le propos de "Se taire ou pas" est cependant nourri par un regard empreint d'une certaine malice qui fait sourire à l'occasion, ainsi que d'un choix judicieux d'images poétiques expressives parfois filées avec talent: le lecteur ne manquera pas d'apprécier, au fil des pages, le regard acéré, finement observateur sans emportements indus, que l'auteure porte sur ses contemporains dès qu'ils l'ouvrent... ou justement pas – pour faire mal, pour faire du bien, pour caresser ou blesser, pour dire tout simplement.
Isabelle Flaten, Se taire ou pas, Saint-Etienne, Le Réalgar, 2015.
Le site des éditions du Réalgar.
Lu par Charybde 27, Tu lis quoi.
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