Lu par Francis Richard, Julien Sansonnens.
Matteo di Genaro a choisi de tomber le masque: derrière ce pseudonyme se cache Antonio Albanese, écrivain et musicien italo-suisse, distingué en 2009 pour "La Chute de l'homme". Et après "Une brute au grand coeur", voilà qu'a paru, en fin 2016, le deuxième épisode des aventures de celui qui garde son nom: le personnage atypique, richissime bisexuel aux talents d'enquêteur insolent, de Matteo di Genaro.
L'auteur l'annonçait au terme de "Une brute au grand coeur": les enquêtes de son personnage le mèneraient loin. Et de fait, "Voir Venise et vomir", le deuxième livre de ses aventures, presque aussi bref que le premier, se déroule à Venise. L'intrigue est vite résumée: "Fabrizio est mort" (c'est l'incipit, clair et net), Matteo di Genaro pleure son mignon vénitien et recherche la vérité. Et il la trouve, comme le veut la loi du genre policier. Il est permis de penser à "Mort à Venise" de Thomas Mann, ne serait-ce qu'en rapprochant la figure de Fabrizio, mineur au physique remarquable, de celle, androgyne, de Tadzio: ça rime.
Déconcertant personnage, d'ailleurs, que celui de Matteo di Genaro! On le sent cerné par des contradictions qu'il lui faudra bien démêler au fil des romans suivants, prévus par l'auteur. Présenté comme un personnage cultivé (comme pourrait l'être son jardin vénitien), Matteo di Genaro réserve quelques invectives pas bien malignes, déjà vues plus d'une fois, à l'Eglise catholique. Et puis, s'il dénonce, en un final aux paragraphes moralisateurs, la "bêtise de conviction", il ne semble pas tout à fait exempt de ce travers: il a ses convictions comme tout un chacun (il se présente comme un milliardaire de gauche...), et sa manière condescendante de s'adresser à un lecteur qui n'est certainement pas idiot est plutôt celle d'un cuistre que d'un sage.
Cela dit, l'étalage de culture par le narrateur peut aussi être considéré comme une stratégie que l'écrivain a trouvée pour faire passer ce que Venise peut avoir de beau, loin de la place Saint-Marc hantée par les pigeons et les touristes. Vu comme ça, c'est assez bien joué: le lecteur aperçoit la Giudecca et ses ambiances, les îles, les prisons, la bibliothèque. Et il lit plus d'une histoire, plus d'une anecdote, que l'auteur parvient à enchâsser çà et là.
L'influence de San-Antonio est certes palpable. Reste que "Voir Venise et vomir", si court qu'il soit, souffre d'une certaine lourdeur, qui se manifeste entre autres par la manie constante de souligner les effets. Lourdeur également dans l'affirmation de l'orientation sexuelle du narrateur, qu'on sent obligé de se justifier longuement. Et enfin, si la manière de raconter lorgne vers l'oralité, elle fait le grand écart avec des astuces typiques de l'écrit, telles que les notes de bas de page ou les réflexions sur la traduction.
Comme son prédécesseur, "Voir Venise et vomir" s'achève sur le rituel "A suivre..." et fait miroiter la Nouvelle-Orléans. Embarqué là-bas, le lecteur gardera en tête les écrits de Poppy Z. Brite (je pense aux succulents "Alcool" et "La belle rouge"). Et dès à présent, il espère que l'auteur trouvera de nouveaux ressorts, où l'invective pesante cèdera la place à un supplément de fraîcheur.
Comme son prédécesseur, "Voir Venise et vomir" s'achève sur le rituel "A suivre..." et fait miroiter la Nouvelle-Orléans. Embarqué là-bas, le lecteur gardera en tête les écrits de Poppy Z. Brite (je pense aux succulents "Alcool" et "La belle rouge"). Et dès à présent, il espère que l'auteur trouvera de nouveaux ressorts, où l'invective pesante cèdera la place à un supplément de fraîcheur.
Antonio Albanese, Voir Venise et vomir, Lausanne, BSN Press, 2016.
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