Rebecca Gablé – Un retour au Moyen Âge, ça vous tente? Précisément, le deuxième tome de la saga des Waringham, signée Rebecca Gablé, vient de paraître en traduction française, grâce au beau travail du traducteur Joël Falcoz et des éditions Hervé Chopin. "Les gardiens de la rose" fait suite à "La roue de la fortune", premier opus de la série imaginée par la romancière allemande. Celle-ci revient à la guerre de Cent ans, et poursuit le propos en le centrant sur le personnage de Jean de Waringham, fils de "Fitz-Gervais", qui était au cœur entre du premier roman de la saga.
L'action des "Gardiens de la rose" court de 1413 à 1442, en une description dense qui fait la part belle aux intrigues et aux inimitiés personnelles: il y a là de quoi redonner un coup de jeune au genre du roman de cape et d'épée. Tout commence par un drame des plus familiaux: l'écurie des Waringham brûle, et quelques chevaux meurent dans l'incendie. Les meilleurs, bien sûr: ce sont toujours eux qui s'en vont. C'est sur les cendres de cette écurie qu'émerge le personnage de Jean de Waringham, héritier d'un secret précieux qui lui permet de parler aux chevaux comme personne.
Jean de Waringham devient quelqu'un lorsqu'il est adoubé chevalier, à la veille de la bataille d'Azincourt, dont l'auteure donne une vision personnelle et épique: celle d'une armée anglaise qui, minoritaire mais déterminée et portée par la foi, a défait des français trop nombreux et trop sûrs d'eux. Neutre et dépassionnée, la romancière excelle à décrire les enjeux de la bataille. Elle rappelle cependant que la victoire des Anglais à Azincourt n'exclut pas des pertes et prisonniers anglais, ni des exactions dans le camp du roi Henri V, dit Harry. Ce qui aura des conséquences, mécaniquement, dont l'auteure fera son miel pour des intrigues ultérieures.
C'est avec la même neutralité que l'écrivaine dessine la météorite Jeanne d'Arc, présentée dans "Les Gardiens de la rose" comme un épisode de la guerre. Le lecteur qui ne connaît guère le personnage, au-delà de ce que la légende évoque, sera servi: l'auteure recrée les manigances politiciennes qui ont conduit au verdict condamnant la Pucelle d'Orléans au bûcher. Du point de vue anglais, elle était certes dangereuse; mais méritait-elle un sort aussi extrême? Certes vue comme une sorcière, elle apparaît aussi comme la victime de jeux de coulisses visant à la victoire guerrière de l'Angleterre. Quitte à présenter Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et juge, comme le jouet d'Anglais à la manœuvre sur ce coup-ci.
On l'a compris: les enjeux historiques sont recréés avec précision dans "Les Gardiens de la rose", au fil de la narration, sur le même ton que dans "La roue de la fortune". Ces grands enjeux ne font cependant pas oublier les relations interpersonnelles et familiales, qui sont tout aussi houleuses que les soubresauts de la grande histoire. L'auteure, en effet, met en scène une poignée de nobles en mesure d'accéder au trône d'Angleterre, et donc d'entrer dans l'histoire. Grandes familles ou individus, certains sont prêts à tout pour y parvenir...
Mais la narration est aussi contrainte par les rigueurs d'une époque où l'église catholique règne encore en maîtresse sur l'Europe, et avec laquelle il faut composer, quitte à se contenter de victoires partielles. Le lecteur apprécie par exemple le personnage de l'évêque Henri Beaufort, cardinal capable d'humanité et père en secret: pour un homme, épouser l'une de ces filles signifie la déchéance. C'est pourtant la voie que choisit Jean de Waringham, qui préfère l'amour à la rigidité des conventions religieuses. À un autre niveau, les Lollards, présentés comme des méchants récurrents alors qu'ils n'ont pas tout tort (l'auteure en fait d'ailleurs un portrait sans haine ni complaisance), se présentent comme un groupe désireux de remettre en question certaines règles religieuses et paraissent préfigurer la Réforme.
Cœur ou raison? Au niveau le plus intime, telle est l'alternative qui mobilise les personnage des "Gardiens de la rose". Les mariages sont souvent de raison, surtout au niveau le plus haut, celui où l'on parle de royauté. Cela n'empêche pas les sentiments de s'exprimer, suggérant que le choix n'est pas toujours si exclusif qu'on ne le croit. Pour le meilleur, Henri VI, a un coup de foudre réciproque avec Marguerite d'Anjou. Pour le pire, l'auteure dessine la déchéance d'Eléonore Cobham, épouse du duc de Gloucester, férue de satanisme et spécialiste en potions abortives. Entre tous ces personnages, que ce soit en régime de régence ou non, on ne se fait guère de cadeaux; au cours de dialogues qui claquent, les rivalités interpersonnelles ne concourent donc pas peu au caractère captivant des "Gardiens de la rose".
Enfin, le lecteur sourira à l'émergence de la famille des Tudor, au travers du personnage d'un Gallois haut en couleur qu'il faut un peu gérer et aura un destin particulier! N'anticipons pas: "Les Gardiens de la rose" est un roman aussi généreux que "La roue de la fortune", construit selon les mêmes recettes. On peut certes regretter que certaines péripéties semblent prévisibles, par exemple lorsque l'auteure insiste sur la beauté particulière de tel acte sexuel pour, comme par hasard, annoncer quelques pages plus loin qu'un enfant va naître. Peu importe cependant: bourré de dialogues rapides et de coups d'épées bien tranchants, riche en retournements de situation et surtout fidèle à une histoire centrée entre l'Angleterre et le nord de la France, "Les Gardiens de la rose" est un roman qu'on dévore avec délice. Et il y aura une suite, puisque Jean de Waringham et son épouse Juliana ont eu des enfants, malgré l'adversité...
Rebecca Gablé, Les gardiens de la rose, Paris, Hervé Chopin, 2018.
Le site des éditions Hervé Chopin, celui de Rebecca Gablé.
Lu par Biblio.
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