Annik Mahaim – Epatant roman de vie que celui que propose Annik Mahaim dans "La femme en rouge"! Le lecteur suit la piste de Nina, une jeune Lausannoise qui décide d'en savoir plus sur sa grand-mère Olga, peintre de talent qui a côtoyé les génies artistiques de l'après-guerre. Au fil des découvertes, c'est un sacré voyage que cette quête dessine. Un voyage qui recèle son lot de sinuosités, traduites par des changements de points de vue épisodiques et des retournements de situation inattendus...
On le comprend vite: Nina est une fille bien d'aujourd'hui, sensible aux idées progressistes, végane ayant imposé son régime à son chien, active dans une ONG à vocation écologiste. Cette envie de modernité n'empêche pas Nina de rechercher ses racines. C'est là que tout commence: il lui faut aller voir qui est cette fameuse artiste nommée Olga Demarsay-Müller, décédée en 1991, qui est sa grand-mère méconnue. Pour cela, elle peut compter sur Doris, une vieille parente, qui joue aussi le rôle de meilleure amie dans ce roman. Une amitié qui incite Nina à traquer ses propres origines, par-delà les secrets et les zones d'ombre. Celle-ci est irriguée – in vino veritas – au Château Chasse-Spleen, un fameux vin rouge...
Rouge? Revenons au titre. Au degré zéro, "La femme en rouge" suggère un vêtement. Soit! Signée Manuela Gay-Crosier, la couverture du livre en rend compte. Et puis, c'est aussi le titre d'un film de Louis Cuny qui se passe précisément dans le monde des arts et galeristes. Tiens, tiens!... Mais surtout, dès lors qu'on pense à Olga, c'est aussi à un positionnement politique qu'il faut songer. Dans le sillage de son père, en effet, la jeune artiste-peintre s'intègre au Parti ouvrier populaire vaudois, précisément dans sa section de Renens. L'auteure dessine l'ambiance qui y règne dans les années d'après-guerre, entre soirées dansantes bien sages et endoctrinement d'esprit communiste. Elle relève par exemple avec piquant la tension qui peut naître entre deux enfants, l'un de culture catholique, l'autre baignant dans les idées de gauche, au sujet du prénom Joseph: père du Christ pour l'une, petit père des peuples pour l'autre – quelle belle paire d'endoctrinées! On l'a compris: il y a de la tendresse dans le regard porté sur ces années du Parti ouvrier populaire, mais l'auteure ne fait pas l'impasse sur les désaccords, entre autres pour savoir si une artiste, femme qui plus est, a sa place dans un groupe ouvriériste. L'art, c'est d'un bourgeois...
Ce monde de gens modestes qui prennent le tram entre Lausanne et Renens, parfois d'un dogmatisme des plus rigides mais où l'on s'aime aussi, fait contraste avec le monde artistique où Olga trouve sa place en qualité de peintre. Le lecteur aimera la manière rocambolesque et culottée avec laquelle le galeriste Demarsay approche Olga: si l'initiative n'est guère reluisante, la mise en scène et l'aboutissement sont du plus beau romanesque. L'auteure fait ainsi entrer dans son roman quelques artistes qui ont compté au milieu du vingtième siècle, en particulier Niki de Saint-Phalle, dont elle restitue avec fraîcheur le tempérament libre, mâtiné de mots d'anglais qui donnent à son discours féministe un tour résolument moderne. Par ricochet, il est aussi question de Jean Tinguely, bien sûr; mais l'auteure évite, et c'est heureux, de faire de son roman le carnet d'adresses des gloires artistiques du temps jadis. Son propos est plus intéressant, de façon générale: au travers d'Olga, elle dessine ce qu'a pu vivre une femme artiste au cœur du vingtième siècle, entre exaltations et étouffements.
Et si "La femme en rouge" touche au grand monde des arts, à l'ivresse des galeries parisiennes de prestige où l'avant-garde et les concepts d'avenir s'exposent, ce roman n'oublie pas d'où il vient pour autant. Cela se traduit par un style d'une grande décontraction, qui revêt sans complexe les couleurs du terroir vaudois en distillant quelques helvétismes. C'est normal: "La femme en rouge" endosse un ancrage local franc, et à Lausanne, même les citoyens du monde les plus engagés assument le fait de parler français comme il se parle dans le canton de Vaud. Et c'est sur ces mots à la fois d'ici et de partout que l'auteure relate la vie de deux ou trois générations de femmes qui, au fil des ans, défendent chacune à leur manière les idées modernes de leur temps.
Annik Mahaim, La femme en rouge, Lausanne, Plaisir de lire, 2018.
Le site des éditions Plaisir de lire, celui d'Annik Mahaim.
Et du coup, la femme la plus âgée a vécu quand ?
RépondreSupprimerSur la tombe de l'artiste Olga Demarsay-Müller, il est écrit 1930-1991. Mais est-ce vrai? ;-)
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