Rebecca Gablé – C'est à une plongée dans le Moyen Age anglais que l'écrivaine allemande invite son lectorat avec "La roue de la fortune", premier tome déjà imposant d'une saga en cinq volumes intitulée "Waringham". Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce premier titre annonce la couleur: page après page, péripétie après péripétie, tel personnage s'élève soudain, et tel autre perd sa place de riche ou de noble. Tout cela, sur fond de guerre de Cent ans.
Comme moteur de son roman, l'écrivaine choisit de mettre en scène Robert "Fitz-Gervais" Waringham, dit Robin, que le lecteur découvre alors qu'il est préadolescent. Le premier tour de la fortune se joue dès les premières pages, lorsque le supérieur du monastère où il se trouve lui annonce que son père a été déchu de ses titres de noblesse à la suite de son suicide. Du coup, l'héritier devient soudain un simple manant!
Robert Waringham a l'étoffe pour tenir un roman généreux et riche en péripéties. Féru de chevaux (l'auteure introduit ainsi un élément sympathique et émotionnel fort), il s'avère attachant, aussi, en faisant preuve d'une certaine sagesse et, d'emblée, d'une grande maturité. On le découvre également rusé, ce qui n'est pas inutile dans une noblesse que l'auteure décrit comme un panier de crabes où les alliances, intrigues et complots s'enchevêtrent – et où les femmes, "aussi dangereuses qu'elles sont belles" selon la quatrième de couverture, ne sont pas les dernières à manœuvrer.
Si Robert Waringham et sa généalogie sont une pure fiction, le lecteur retrouve dans "La roue de la fortune" toute une série de personnages ayant réellement existé, des ducs et autres nobles certes, mais aussi des figures méconnues telles que l'abbé John Ball, fanatique pourfendeur de nobles au nom de l'égalité entre les humains.
Naturellement, le roi chapeaute tout cela. L'auteure dessine de Richard II le portrait d'un homme inexpérimenté dans l'art de régner (c'est un enfant lorsqu'il monte sur le trône), immature et mal conseillé. Avec prudence, elle suggère adroitement, sans les affirmer ni surtout en faire des ressorts de l'action, sa folie et son homosexualité: cette dernière, par exemple, est rapidement indiquée comme une rumeur, au détour d'un des nombreux dialogues qui ponctuent ce roman.
Côté histoire, je l'ai dit, il est question de la guerre de Cent ans et de ses péripéties, évoquées avec un souci d'exactitude: les sièges succèdent aux batailles et aux émeutes, et déversent leur lot d'intrigues, à telle enseigne qu'on ne s'ennuie pas, tant la mécanique de ce roman s'avère bien huilée, nourrie par ailleurs d'une connaissance approfondie de l'Angleterre du XIVe siècle. Si certaines scènes se passent hors d'Angleterre, par exemple en Guyenne, à Calais ou en Espagne, l'auteure ne s'attarde guère à planter le décor ou à faire du tourisme: elle s'intéresse avant tout aux interactions des personnages, nombreux, et qu'un simple retournement de situation peut rendre puissants... ou renvoyer aux poubelles de l'Histoire.
Ces interactions entre personnages sont placés sous le signe des amitiés loyales ou trahies, des amours périlleuses et passionnées, mais aussi des duels et bagarres. Cela fait de "La roue de la fortune" un très bon roman d'aventures, riche en péripéties éclatantes, porté par un héros d'une grande noblesse, et des plus humanistes avant l'heure. Et si le mot "Fin" est écrit au terme de ce roman, cette fin n'est que provisoire: tout indique que "Waringham" va se prolonger, à commencer par l'arbre généalogique de la famille, imprimé en ouverture du livre, et qui court jusqu'à la fin du XVe siècle.
Rebecca Gablé, Waringham, la roue de la fortune, Paris, HC Editions, 2017, traduction de l'allemand par Joël Falcoz.
D'autres avis chez Biblio, Frédérique, Séléné.
Le site de l'éditeur, celui de Rebecca Gablé.
Défis Premier roman et Rentrée littéraire 2017.
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