vendredi 16 novembre 2018

Thierry Amstutz: une montre qui disparaît, c'est la tentation du fantastique...

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Thierry Amstutz – Que de temps passé depuis ce dix-huitième siècle neuchâtelois que Thierry Amstutz met en scène dans son deuxième roman! Neuchâtel est alors une principauté dépendant de la lointaine Prusse, et vit sa vie, relativement autonome face à son suzerain. C'est dans ce contexte aux allures relativement libres que l'écrivain neuchâtelois Thierry Amstutz dessine l'intrigue de "La montre disparue". Un contexte propice à l'émergence d'un nouvel art dans le canton de Neuchâtel: l'horlogerie. 


Oui: si court qu'il soit, "La montre disparue" est un roman qui campe un monde en pleine mutation. Originaire d'un milieu agricole, Jacob Geiser trouve ainsi dans l'horlogerie un revenu d'appoint bienvenu et lucratif, alors que d'autres, autour de lui, préfèrent se consacrer au travail de la terre, par fierté familiale... et le chambrer pour cela. Reste que l'auteur relève une réalité: les domaines agricoles sont de plus en plus petits au fil des héritages, rendant de plus en plus difficile le fait d'en vivre. Potentiellement lucratives, les sources de revenu alternatives évoquées dans "La montre disparue" sont la dentelle, pour les femmes, ou la construction d'un moulin à partir d'une bâtisse existante. 

C'est sur l'horlogerie que l'auteur, lui-même horloger en plus d'être président de l'Association des écrivains neuchâtelois et jurassiens, se concentre. Dès le début, le lecteur est admiratif face à la manière qu'a l'écrivain de recréer ce métier, qui plus est tel qu'il était il y a trois siècles. Les termes sont précis, et l'écrivain, soucieux de profondeur, va jusqu'à évoquer quelques secrets de fabrication et tours de métier. Un métier qui inclut la vente des objets fabriqués sur les marchés... en particulier une montre, qui fait figure de personnage de ce roman, à égalité avec les humains. 

Quelle est-elle, en effet, cette montre? On dirait qu'elle n'attire que des malheurs à ceux qui l'ont possédée si peu que ce soit – à l'exception notable d'une guérisseuse. Son premier propriétaire, un jeune fiancé nommé Jean Gafner, meurt dans un accident légèrement provoqué. L'affreux Justin Chalas, celui qui l'a causé et qui a récupéré la montre, meurt de coliques. Et au vingt et unième siècle, un ouvrier de chantier meurt dans un accident de voiture qui rappelle clairement l'accident de cheval survenu au fiancé de jadis. Montre hantée, alors? Définitivement disparue, mais alors, a-t-elle simplement existé? L'auteur intègre par ce biais une once de fantastique fascinant dans son roman. 

Un fantastique qui tourne aussi autour de trois femmes, qui ont les guérisseuses – les sorcières, diront les mauvaises langues. Sorcière? Oui: l'auteur revisite ce motif devenu symbole féministe, porté dernièrement dans "Les sorcières de la République" de Chloé Delaume. Cette accusation vaut le bûcher à l'aïeule, et l'auteur recrée longuement (tout un chapitre), de façon réaliste et glaçante, l'ambiance d'une exécution au dix-huitième siècle sur les terres neuchâteloises. Toujours suspectes certes, ses descendantes perpétuent cependant son art, et l'auteur suggère qu'Evira et Bélina sont les modèles d'un début d'émancipation féminine – entre autres par le fait qu'elles vivent à leur manière, loin des villes, à l'orée d'une forêt, et qu'elles entendent pratiquer leur art sans malice, loin des médicastres hommes qui, eux, échouent à rendre la santé aux malades. Reste une question: les malédictions qu'elles lancent sont-elles juste là pour faire peur, ou ont-elles un véritable et mystérieux impact? 

Au-delà d'une montre qui survit par-delà les siècles, l'auteur met en scène toute une époque: celle du début du dix-huitième siècle dans le canton de Neuchâtel, entre Le Locle et La Chaux-de-Fonds, vu du côté de l'horlogerie et des citoyens. Un regard contrasté, puisque cet univers est capable d'offrir à ceux qui y vivent la plus grande douceur et la plus implacable fermeté. Ces deux extrêmes sont illustrés par la terrible exécution de Rébecca la sorcière ou par la tentative de viol dont la petite-fille de Rébecca est victime; cela s'oppose diamétralement à l'amabilité des histoires d'amour qui naissent entre personnages: telle jeune femme offre ainsi à son galant une mèche de cheveux afin qu'il en fasse une tresse pour ne pas perdre la clé de sa montre. Et si un enfant ne naît pas tout à fait dans les règles imposées par la société, on s'arrange... 

Peuplé de personnages présentés comme historiques dont la biographie occupe quelques pages en fin de livre, "La montre disparue" est un fort joli roman, porté par une écriture alerte et une ambiance doucement imprégnée de fantastique qui incite à lire et à tourner les pages. Durs ou tendres, ses personnages évoluent de manière crédible dans un contexte historique que l'auteur a très bien su recréer, sans lourdeur, à la façon d'une beau tableau de genre.

Thierry Amstutz, La montre disparue, Genève, Slatkine, 2016.

Le site des éditions Slatkine, celui de Thierry Amstutz.

2 commentaires:

  1. Cela a l'air très intéressant !

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    1. Et ça l'est: l'auteur est un spécialiste de l'horlogerie, et son premier roman portait déjà sur ce thème. A essayer donc, si en plus tu aimes les romans qui ont un ancrage local bien assumé: je te le conseille.

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