Marguerite Burnat-Provins – En lisant aujourd'hui "Le Livre pour toi" de la poétesse et artiste Marguerite Burnat-Provins, il n'est pas évident aujourd'hui d'imaginer que ce recueil de cent poèmes en prose ait pu faire scandale au temps de sa publication. Mais c'était en 1907! Régulièrement réédité depuis, et ce jusqu'à Paris, cet ouvrage a connu une nouvelle mouture en 2020 chez inFolio, (trop) brièvement préfacée par Stéphane Pétermann et complétée par "Cantique d'été" (1910), qui apparaît comme le prolongement du "Livre pour toi".
Scandale il y eut, en effet, à la parution du "Livre pour toi": la poétesse y relate ce qu'elle ressent envers un amant de six ans son cadet, Paul de Kalbermatten – cela, alors qu'elle est elle-même mariée à un notable de Vevey. La tonalité passionnée, simple et forte, y est aussi pour quelque chose. Quant aux textes, ils sont le reflet d'un été qui aura représenté le sommet de cette idylle. De ce point de vue, ceux de "Cantique d'été" apparaissent déjà comme l'envie de fixer le souvenir d'un moment intense mais passé, qu'une narration au présent ambitionne cependant d'inscrire dans l'intemporalité.
Voyons-y de plus près. Les cent poèmes du "Livre pour toi" sont autant de variations sur un sentiment amoureux sans cesse renouvelé. Au-delà de la simple expression d'un sentiment de toujours, s'il parle encore au lecteur (ou à la lectrice) d'aujourd'hui, c'est en particulier parce que nombre des images de ce recueil empruntent à la nature intemporelle et ce, avec le naturel d'une femme qui paraît la connaître familièrement et la nomme avec précision.
La poétesse use aussi, pour son art, de recours en provenance de l'Antiquité: ce sont des images à base de marbre ou d'airain, ou simplement le fait d'attribuer à son amant un pseudonyme à consonance latine, pourvue de tout un imaginaire païen: Sylvius. On pense au poète latin Catulle, qui procède de même lorsqu'il évoque une certaine Lesbie: un nom fictif pour une femme vraie – dont l'identité réelle, contrairement à celle de Paul de Kalbermatten, fait aujourd'hui encore débat.
Le lecteur repère que les poèmes du "Cantique d'été" tendent à être plus brefs, confinant à la fulgurante du haïku, que ceux du "Livre pour toi". Le souvenir s'en va, il est permis de le croire; dès lors, les 99 textes du "Cantique d'été" apparaissent comme une envie de rattraper le temps passé et d'en faire la synthèse plutôt que le détail. Le préfacier fait remarquer qu'il y a un poème de moins dans ce deuxième recueil, ce qui en suggère l'inachèvement délibéré, porteur de sens: l'amour partagé par Marguerite Burnat-Provins et Paul de Kalbermatten n'aura peut-être pas tenu toutes ses promesses de perfection.
Enfin, bien entendu, les poèmes recueillis dans ces deux opus portent leur charge de sensualité, qui aura pu paraître impudique en son temps, comme si une femme n'avait pas le droit de s'exprimer en un tel "chant amoureux", porté aussi par le ressenti souvent exprimé d'un abandon, d'une soumission consentie voire voulue à l'amant. Cette transgression est cependant nécessaire pour exprimer, sans filtre, toute la (dé)mesure, y compris physique, d'une passion immense vécue sous le soleil estival du Valais.
Marguerite Burnat-Provins, Le Livre pour toi/Cantique d'été, Gollion, inFolio/Micromégas, 2020. Préface de Stéphane Pétermann.
Le site des éditions inFolio, celui de l'association des amis de Marguerite Burnat-Provins.
Lu par Dunia Miralles.
Défi 2025 sera classique aussi.
Pour ceux qui voudraient se faire une idée, on peut lire les poèmes ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Livre_pour_toi
RépondreSupprimerPour avoir lu les premiers, je comprends que ça ai choqué en 1907 ;)
... et les suivants sont de la même veine! C'est un recueil superbe, à découvrir - éventuellement en musique, ce qui met en valeur ce que la poétesse a exprimé par les mots. Bonne semaine à toi!
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