Lu par Francis Richard.
Défi Premier roman.
"Sa nature ne le prédestinait en rien à commettre des actes radicaux." Cet incipit utilise les mots d'aujourd'hui pour donner corps, d'emblée, au personnage principal de "Mémoire des Cellules", premier roman de Marc Agron. Maximilien est un critique d'art qui erre au gré des contrats, et l'un d'entre eux va l'amener à la Biennale d'art de Venise. Il y voit une oeuvre d'art qui va le laisser perplexe, mais ne manque pas de souhaiter en savoir plus sur sa créatrice.
"Mémoire des cellules" commence de façon incisive et outrancière, mettant à nu de manière jouissive les travers de l'art contemporain. L'écume de cet art, ce sont bien sûr les vernissages peuplés de gens présents pour courtiser l'artiste. Au-delà, que ce soit à Venise ou en une autre circonstance, l'auteur met en évidence la valeur effective d'un art dont le commentaire s'avère interchangeable. Et surtout, en mettant en scène le personnage d'une artiste, R., qui fait de l'art contemporain parce que le public en redemande plus que parce que cela répond à un besoin viscéral (elle préfère d'ailleurs des choses plus classiques, ce dont la décoration de son logement témoigne), il en souligne toute l'hypocrisie.
C'est donc ailleurs, dans ce roman, qu'il faut chercher la sincérité. Celle-ci s'installe progressivement, difficile, alors que l'écriture, si elle devient plus austère, moins narquoise, gagne aussi en profondeur. C'est le moment où l'auteur creuse ses personnages. Tout commence lorsque Max, chez l'artiste, se trouve mal et fuit alors qu'il pourrait conclure avec une femme qui ne demande que cela. Tel est le point de départ d'une exploration des personnages, par briques et morceaux: l'artiste a perdu son enfant, le critique se souvient d'amours perdues, de bravades aussi, et se révèle dans tout son manque de caractère.
Un manque de caractère que le critique cherche à masquer en souhaitant "se payer" R., soit par voie de presse, soit par des méthodes plus expéditives et violentes - cela, avant que l'on bascule dans la promesse de sentiments plus profonds. Il est permis de voir dans l'évolution du récit un avatar moderne de ces tendres guerres où l'homme commence par faire montre de sa force à la femme avant de comprendre qu'elle attend autre chose pour être séduite.
Et c'est là, loin des mondanités artistiques, que la notion de "mémoire des cellules" prend tout son sens: celle-ci suggère que tout, y compris le passé, rapproche Maximilien et R. - qui gagne en définitive un prénom complet, d'ailleurs. Au terme de quelques pistes que le lecteur suivra ou pas, une ultime révélation, majeure dans la dynamique de ce roman, parachève la confrontation en faux-semblants et en chassés-croisés sur fond de téléphones portables en panne, pour ouvrir la porte à la possibilité d'un amour pleinement vécu: "Leurs yeux désormais rivés l'un sur l'autre, Maximilien et Roméa ne parlent plus. Leurs pieds se dérobent doucement et font virevolter les feuilles."
Marc Agron, Mémoire des cellules, Lausanne, L'Age d'Homme, 2017.
Superbe chronique !
RépondreSupprimerMerci! C'est aussi un beau livre, mais avec un virage surprenant, puisqu'il part d'une vision caustique de l'art contemporain pour aller vers tout autre chose.
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