samedi 14 mai 2022

Tout le monde à l'eau, pour refaire le monde à coups de grelinette

Jean-Jacques Busino – "A la mort du fondateur d'une communauté utopiste, la nature reprend le dessus et l'incompétence fait le reste": telle est la clé de voûte du dernier roman de Jean-Jacques Busino. Paru aux éditions BSN Press, cet ouvrage échevelé met en scène un univers qui a tout de notre monde, avec ses soucis écologiques et sociaux, recréé à l'échelle d'un village qui est aussi une communauté, quittée par le père de Jésus, mort au tout début du récit, qui observe tout ça d'en haut en narrateur omniscient, pour ne pas dire divin. 

On relève avant tout la bande son de ce roman, marquée par le sound de "Harvest", disque remarquable de Neil Young, régulièrement citée. Seront également cités des interprètes comme Robert Fripp ou John Wetton, du groupe King Crimson, voire David Gilmour, des Pink Floyd. Il n'en faut pas plus pour que s'enclenche une bande son à la fois agréable et implacable, que l'auteur décrit en termes dithyrambiques. Crépusculaires ou pépères, les couleurs des musiques citées ne manquent pas d'impacter l'expérience du lecteur qui les connaît.

L'eau, un personnage

Et si la musique coule dans les oreilles du lecteur, l'eau coule à travers tout le roman à la manière d'un personnage à part entière. On la verra en particulier suspecte numéro un dans les problèmes de santé prématurés de certains personnages, débouchant éventuellement à leur décès: il y a du glyphosate ici ou là, ce qui suffit à en faire la suspecte numéro un dans le décès du père de Jésus, désormais patron de la communauté. Et en menant sa dérisoire enquête, Jésus va tomber sur Monsanto, suspect habituel...

Dès lors qu'il n'est plus question de boire l'eau de la nappe phréatique, la consommation d'eau minérale en bouteilles devient un enjeu dans la communauté mise en scène par l'auteur. L'eau se révolte aussi, d'ailleurs, contre les bâtiments, contraignant ainsi tout un petit monde à repenser son existence et à se reloger à la suite d'une inondation. Vous avez dit "réfugiés"?

Quand la jeunesse s'en mêle

Porteur d'un propos manifestement écologiste, l'auteur joue aussi sur les références chrétiennes pour suggérer que la communauté animée par feu le narrateur, Jésus et quelques autres a un côté mystique. Il crée ainsi quelques personnages typés, fonctionnant de façon simple: Pierre le combinard aime démesurément l'argent, Samy est piloté par son pénis. Le lecteur découvre aussi Paul et Virginie, deux ados qui vivent une expérience de dépucelage d'anthologie, parfaitement post-covid-19 puisqu'elle se passe de tout contact physique et se fonde sur un sextoy télécommandé et commandé en ligne.

Plus largement, c'est de manière abrasive que l'auteur met en scène une jeunesse idéaliste et prompte à s'enflammer pour les causes écologistes, quitte à user de procédés aussi radicaux qu'approximatifs. Toujours, l'écrivain place ses personnages au centre de chaque séquence, à l'instar de Marceline Pougnelon, qui connaîtra son heure de gloire en se faisant sauter (mais pas comme vous le croyez, petits canaillous!), ou d'une poignée d'ados écologistes mais plus soucieux de leur image à l'école que du salut de la planète.

Des scènes d'anthologie

Du haut de son statut de défunt, le narrateur observe, impuissant, le chaos s'installer sur la communauté qu'il a créée dans un esprit écologiste et novateur, nourrie entre autres de permaculture (ah, la grelinette, outil chouchou des néo-ruraux!) et d'esprit de débat scolaire. Ce chaos se nourrit des travers des hommes, relève l'auteur, soulignant les doubles appétits financiers et sexuels de certains de ses personnages. 

Côté sexuel, cela vaut au lecteur quelques scènes d'anthologie. Nous avons déjà parlé de Paul et Virginie à l'ère du sexe en ligne. "Le ciel se couvre" évoque également des copinettes en goguette dans un bar à la clientèle plutôt virile, ou les frasques d'une journaliste, Marie, qui taille une pipe à Samy dans un confessionnal. Cela, sans oublier – même si le lien avec le propos général n'est pas évident – la relation sensuelle, émerveillée et artistique, qui unit Hélène et son peintre ébloui.

En refermant "Le ciel se couvre", le lecteur garde ainsi le souvenir d'un roman qui cogne et foisonne, mettant au jour les turpitudes humaines en des scènes brindezingues qui vont crescendo, un peu à la manière d'un Tonino Benacquista. La communauté qu'il imagine symbolise une vision pessimiste, mais non exempte de lumières d'espoir, de notre humanité lui-même, tiraillée entre le respect quasi mystique de la nature et les pentes pas très vertueuses, nourries de sexe, d'argent ou de mégalomanie, sur lesquelles tout un chacun est susceptible de glisser. Et puisqu'on est dans un roman noir à nuance mystique, après tout, qui a tué le père de Jésus? L'enquête court toujours...

Jean-Jacques Busino, Le ciel se couvre, Lausanne, BSN Press, 2022.

Le site des éditions BSN Press.

4 commentaires:

  1. Vraiment très intrigant, ce roman sur fond d'écologie a l'air assez inquiétant.

    Mais s'il a choisi Harvest de Neil Young comme trame de fond, ça ne peut qu'être de qualité ! :)

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    1. Bonjour et merci de ta visite!
      Un roman implacable, vraiment bon en effet, et plutôt riche. Et comme playlist, oui, il y a Neil Young, mais pas que...
      L'éditeur, BSN Press, propose d'ailleurs des romans de belle tenue.
      Bonne fin de journée à toi!

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  2. Réponses
    1. De rien... êtes-vous M. Busino? Bonne fin de dimanche à vous, en tout cas!

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