Alain Bagnoud – Genève dans ses œuvres obscures: tel est le décor de "De la part du vengeur occulte". Avec ce roman, paru dernièrement aux éditions BSN Press, l'écrivain Alain Bagnoud fait une première incursion dans le genre policier. Cela, après une quinzaine de livres de formes diverses: son précédent opus, "La vie suprême" (sur le site de "La Liberté", payant), évoquait le Valais historique à travers la figure du faussaire Farinet.
Des faussaires, on en trouvera à nouveau dans "De la part du vengeur occulte", qui plonge dans le monde de l'art contemporain vu de la ville du bout du lac. Le lecteur savoure ainsi avec un sourire gourmand les quelques descriptions d'œuvres d'art qui émaillent l'ouvrage, synonymes d'un monde créatif qui ne peut plus se comprendre sans mode d'emploi: que peuvent signifier un mannequin femme fiché dans une chaussette géante, ou une pelote de laine aux couleurs du monde, transpercée d'aiguilles à tricoter en forme de phallus? Autant d'œuvres de faussaires de l'art, relayant avec complaisance les idées dominantes sans trop les interroger.
Cet art de grand chemin paraît surtout fait pour des collectionneurs peu cultivés mais fortunés, éventuellement en connivence avec des notables politiques locaux – qui jouent aussi leur rôle de faussaire. Et c'est à ce niveau que l'écrivain place ses personnages. Jean-Philippe Meilat, élu libéral par conviction apparente mais opportuniste parce que c'est pratique, joue ainsi le rôle du politicien soucieux de sa carrière, pour ne pas dire de sa stature face à l'Histoire. C'est avec circonspection qu'il se confie à Alexandre, son nègre, chargé de rédiger une biographie qui doit assurer sa réélection: se donner le beau rôle, toujours.
Dès lors, "De la part du vengeur occulte" puise sa tension narrative dans une série de photos suspectes que Meilat reçoit: est-on en train de comploter contre lui? Le roman trouve dans l'enquête que mène Alexandre à ce propos un puissant moteur, mais aussi un McGuffin impeccable. Ce moteur permet à l'écrivain de balader ses personnages dans le monde de l'art contemporain façon Genève, où la valeur marchande potentielle prime la valeur esthétique, mais aussi, et ça fait contraste, dans les lieux d'hébergement d'urgence où les miséreux de Genève, ceux qu'on ne veut pas trop voir, passent leurs nuits et se filent des tuyaux.
Pour faire bon poids, un oligarque russe hante ces pages, un peu par procuration: s'il ne joue aucun rôle actif, Massimov est omniprésent et colore le propos – aussi par procuration, via sa jeune épouse Ivana. Le lecteur se retrouve ainsi parfois en compagnie de jolies femmes russes, profondément pragmatiques. Celles-ci font écho aux femmes du cru, la sexy et ingénue Delphine en tête (l'auteur ne manque pas de décrire ce que contient son décolleté, dans un contraste paradoxal avec sa conscience professionnelle fluctuante d'enseignante), que l'ami Marco dispute à Alexandre.
Toucher au gros fric peut s'avérer fatal. Certains personnages secondaires de "De la part du vengeur occulte" en témoignent par leur disparition louche. "De la part du vengeur occulte" dessine ainsi, dans une ligne claire, rapide mais dense, les liens labyrinthiques entre amour, argent, politique et beaux-arts, selon des lignes de tension classiques, typiquement genevoises diront certains (il y a le fric, mais aussi les avocats à grande gueule et le libéralisme politique, proche du parti radical-démocrate mais historiquement spécifique quand même), revisitées en fonction de notre temps. Il s'en passe donc, des choses, dans l'ombre des lumières projetées par les bâtiments des coins chics de Genève! Et "De la part du vengeur occulte" en relate les petits et les gros mensonges, en un style vif et accrocheur, amusé à l'occasion, bien en phase avec une intrigue de roman noir.
Alain Bagnoud, De la part du vengeur occulte, Lausanne, BSN Press, 2022.
Le site des éditions BSN Press.
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