Lydie Dattas – La poésie est-elle une forme littéraire qui permet de relater les éclats d'une vie? L'écrivaine Lydie Dattas répond par l'affirmative. Son ouvrage "La Foudre" prend la forme originale d'une biographie construite en proses poétiques passionnées, d'une longueur équivalant constamment à un peu plus d'une page.
C'est fugace, une page, et l'auteure ne joue guère sur la densité du récit pour travailler le rythme de narration. Dès lors, le lecteur roule d'un flash à l'autre, avec la charge de reconstituer, page après page, peu à peu, ce que "La Foudre" relate: la vie d'une femme dans le monde du cirque. C'est dense donc, mais c'est surtout naturel.
Le monde du cirque apparaît d'emblée opposé à celui de la philosophie, discipline conventionnelle à laquelle se destine initialement la narratrice. L'opposition est même diamétrale: les gens du cirque qu'elle va côtoyer sont illettrés et ont développé leurs propres usages, reflet d'un monde qui leur appartient – celui des gens du voyage.
Mais voilà: être illettré n'empêche pas d'être pleinement talentueux. Ni séduisant. Ni riche – d'une manière que les milieux les plus conventionnels se plaisent à dédaigner. L'auteure ne juge pas cette manière d'être, cependant: elle décrit simplement, avec émotion, un monde qui va devenir le sien et qui résonne avec elle.
Il y a donc du cirque à la Place Rimbaud à Paris, semble-t-il. Sous la plume de la poétesse, les Rimbaud sont quatre, et se positionnent comme figures tutélaires, ancestrales, dans "La Foudre". Entrée dans cet univers parallèle, la narratrice assume l'altérité, voire l'étrangeté: "J'étais à l'intérieur d'une illumination".
Illumination? C'est visuel comme idée, et c'est là qu'entre le thème de la couleur, par lequel il paraît possible de transposer l'art du cirque vers d'autres arts, plus académiques. C'est périlleux, convenons-en: Rolf Knie, homme de cirque s'il en est, n'est jamais parvenu dans ses tableaux à rendre pleinement le monde du cirque, celui du mouvement, lorsqu'il se mue en peintre, artisan d'un art qui, par essence, fixe le mouvement et le rend statique.
La poésie des mots saura-t-elle faire mieux? C'est le défi de "La Foudre". Et comme celle-ci laisse une place certaine à l'imagination du spectateur, distincte de celle des arts visuels, la marge de manœuvre est là. L'auteure s'en saisit justement, en particulier au travers de la couleur rouge, porteuse de sens: elle symbolise le sang, donc la vie, et ce symbole s'affiche jusque sur les sièges du chapiteau.
L'écriture plonge aussi dans la réalité la plus concrète: qui dit rouge dit sang, mais aussi chaleur, puis vie. L'auteure s'empare dès lors de cette couleur chaude à chaque tournant, la liant aussi aux règles qui marquent la vie de chaque femme pour faire de "La Foudre" un livre saturé de vie. Une vie qui s'exprime aussi par le biais de cet art en constante énonciation qu'est la musique: les sonorités de l'orchestre du cirque résonnent avec celles développées pare le père de la narratrice, Jean Dattas (1919-1975), compositeur et organiste à Notre-Dame de Paris.
Cette vie se nourrit aussi d'images rares et d'un vocabulaire recherché, ce qui laisse au lecteur une impression d'opulence au moins aussi forte que les diamants qu'offrent les gitans à celles qu'ils aiment. "La Foudre" apparaît dès lors comme le livre d'une femme qui, une prose poétique ciselée après l'autre, se met à nu pour dire de manière magnifique qu'elle est vivante.
Vivante, nue? Plutôt deux fois qu'une: "Je n'avais pas eu la main assez nue", confie la poétesse en préambule en se souvenant de la première version de "La Foudre". En effet, l'édition 2022 de ce livre passionné est le fruit d'un retour sur un ouvrage paru en 2011. Et pour reprendre les mots de l'écrivaine revenant sur ses mots forts pour annoncer qu'ils seront plus précis encore dans sa nouvelle version, "Le Temps est un correcteur implacable"...
Lydie Dattas, La Foudre, Paris, Mercure de France, 2022.
Le site des éditions Mercure de France.
Lu par Calie, La Grande Stef.
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