mercredi 25 mai 2022

Azelma Sigaux, au pied de la lettre pour un monde meilleur

Azelma Sigaux – Azelma Sigaux a eu quelque écho ces derniers temps dans la presse nationale française: elle est candidate aux prochaines législatives dans la deuxième circonscription de Haute-Loire. Mais c'est en tant qu'écrivaine que je l'ai rencontrée à l'occasion de la Fête du Livre de Saint-Etienne en 2019. Et que je lui ai acheté "En toute transparence", un roman jeunesse qui déploie ses accords sur ces mots imagés qu'on prend au sens littéral et qui, ainsi, fonctionnent comme des révélateurs.

L'intrigue? Brenda Gobert, fille de parents de professions libérales, découvre avec stupeur qu'elle devient peu à peu invisible. Elle comprend aussi qu'elle a pu imaginer à plus d'une reprise l'être, invisible: ses parents se soucient trop peu d'elle à son goût, et elle est loin d'être la fille la plus populaire de son lycée. D'emblée, s'installe le thème de cette visibilité qu'on aimerait toutes et tous maîtriser dans l'espace public. Pas si facile...

Dans un premier temps, l'auteure décrit ce lent processus d'invisibilisation littérale. Certes, on peut le trouver peu crédible par moments: les stratégies que Brenda Gobert développe ne devraient tromper personne, pas même les personnages qui l'entourent. Mais la vérité finit par éclater... et c'est là que le roman décolle vraiment.

En effet, tout se passe comme si une épidémie se répandait dans la contrée imaginaire où vit Brenda Gobert. Cela, avec deux niveaux. Le premier, c'est qu'entre invisibles, on se comprend – et c'est là que le lecteur découvre le personnage d'Archibald le clown, qui a très bien su trouver ses marques: cinéma gratuit, espionnage très discret, qualités de passe-muraille, quitte à accepter de n'être que spectateur. On sourit en imaginant qu'Archibald comme Brenda se sont trouvés invisibles alors qu'ils portaient une tenue particulière: Archibald a gardé ses vêtements de clown, rendus invisibles, et Brenda est en sous-vêtements qu'on ne voit pas plus que son corps.

Le deuxième niveau, c'est que soudain, cette épidémie ne se contente plus de rendre les gens invisibles: elle les transforme en un défaut ou un trait de caractère qui les caractérise, selon les locutions et figures de style offertes par la langue française. Une vieille dame "trop bonne, trop conne", comme on dit, va ainsi se transformer en "bonne" poire, et le proviseur du lycée de Brenda Gobert, menteur d'une façon éhontée, presque excessive aux yeux du lecteur, devient, en quelques pages diablement inspirées, le digne émule nasal de Pinocchio – feuilles et fruits de prunier en plus. On en fera des confitures!

Cela peut paraître amusant, anecdotique. Mais dans le parcours narratif de "En toute transparence", l'auteure regarde ses personnages réfléchir au sens des expressions du français afin de devenir meilleurs: est-il agréable d'être une poire, ou d'avoir soudain une tête de mule – ou d'avoir celle-ci constamment ceinte de nuages? Et comme l'on est dans un contexte d'épidémie, l'auteure va jusqu'à imaginer les réseaux de solidarité et de soutien qui se mettent en place: après tout, face au "pied de la lettre", chacun est obligé de se remettre en question. Même le proviseur honteusement menteur trouve du soutien, en la personne d'un bûcheron qui lui coupe régulièrement son nez. 

Il est bien entendu permis de trouver "En toute transparence" un peu abrupt, parfois peu nuancé, dans sa coloration philosophique et politique, trop optimiste sans doute aussi, à l'instar du roman "Epidémie" de Vincent Garand: les humains ont leurs travers, leurs intérêts, et ceux-ci se déclinent plus souvent en nuances de gris qu'en améliorations massives et immédiates, même lorsqu'ils sont directement touchés. 

Mais voilà: ce roman invite à réfléchir. Et il a quelques atouts valables à faire valoir pour mettre son lectorat dans sa poche. Il y a d'abord un style, agréable et alerte, qui recrée de façon crédible et rassurante la parole d'une post-adolescente – et n'hésite pas à interpeller le lectorat, au masculin singulier manifeste (étonnant en ces temps d'écriture inclusive, p. 12). Et puis, il y a ce plaisir des mots qui se révèle page après page, à travers les jeux de mots portant sur les noms de personnages ou de lieux: si Fanny est la naïve du roman, c'est qu'en secouant les phonèmes de Fanny, on obtient "naïf"; Gagnac apparaît comme une localité où les gens aiment la "gagne" financière, et si l'on s'y prend un Dolicrane pour soigner un mal de tête, c'est avec un sac Vuittini qu'on se balade pour faire chic.

Azelma Sigaux, En toute transparence, Saint-Etienne, Faralonn, 2019.

Le site d'Azelma Sigaux, celui des éditions Faralonn.

Lu par Céline, DaphnéJuliaKloliane Books, Marie, MélieMel'LecturesSandrine.

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