Fattorius
Lectures, poésies, bonnes choses, etc. Ancienne adresse: http://fattorius.over-blog.com.
mardi 2 mars 2021
Avec Vincent Edin dans les méandres obscurs de la philanthropie
dimanche 28 février 2021
Dimanche poétique 488: Philippe Jaccottet
vendredi 26 février 2021
Le métro, théâtre d'une poésie à jouer avec Dominique Brand
Dominique Brand – C'est à une sortie dans les rames du métro berlinois que le poète et dramaturge franco-suisse Dominique Brand invite ses lecteurs et ses spectateurs dans "A quai la terre". Il s'agit là d'un ouvrage posé entre deux eaux: celles du théâtre, lieu de la mise en voix vivante, et celles de la prose poétique, lue dans l'intimité. Et que ce soit sur scène ou en lecture silencieuse chez soi, ça fonctionne.
Un mot sur le contexte de cette publication, d'abord: "A quai la terre" a dû composer avec les conditions sanitaires et administratives que l'on sait. L'œuvre a ainsi vu le jour hors des salles de théâtre le 26 janvier 2021 sous l'égide du Théâtre 2.21 à Lausanne. Elle assume d'être en permanente métamorphose. Une métamorphose qui fonctionne aussi dans l'esprit du lecteur qui n'a pas été spectateur. "Les théâtres sont fermés, le moment est propice à réinventer les modes de représentation", commente la journaliste Natacha Rossel dans "24 heures".
"A quai la terre" se présente comme une succession de portraits et de choses vues dans le métro de Berlin, emblématique de tous les métros du monde. Portraits de gens anonymes, vues de manière fugace, croquées à coups de crayon rapides et précis, pour ne pas dire prégnants: en quelques lignes, émerge à chaque fois un humain dans sa singularité: "Dame Halloween", ou ce "Prédicateur" qui vit sa misère – toute une histoire condensée en quelques lignes. Ces portraits, ces instantanés veut-on dire, composent la mosaïque du cosmopolitisme des grandes villes, avec des personnages venus de loin pour exercer des travaux ignorés mais essentiels.
Fait remarquable, l'écriture se passe pratiquement de ponctuation. Résultat: l'acteur seul est invité à ciseler la musique du texte – ou, pourquoi pas, le lecteur, qui peut se lancer chez lui, à haute voix. Cela, même si l'agencement des mots, certaines cascades de noms communs juxtaposés pour suggérer l'accélération par exemple, donnent des pistes.
Et pourquoi être seul à dire les textes, d'ailleurs? C'est le choix de la scénographie prévue, signée Nicolas Wintsch, avec la comédienne Anne Vouilloz. Mais le lecteur aura peut-être d'autres envies, et celles-ci sont dans le texte lui-même: on pourrait par exemple imaginer une voix incidente, aussi contrastée que possible, pour clamer les annonces par haut-parleur du métro berlinois, qui viennent rompre le déroulé de la relation des portraits. Rupture double d'ailleurs: le poète les maintient en allemand, alors que ses proses poétiques sont en français.
Et la salle rêvée paraît se rallumer au moment de l'épilogue, au rythme changé: les séquences s'écrivent par lignes, la ponctuation est de retour. Cela, pour rappeler ce lieu paradoxal du métro, théâtre de contacts et de distanciation sociale, de connexions tous azimuts. Avec "A quai la terre", il est bien sûr permis de penser aux livres "Le métro est un sport collectif" de Bertrand Guillot ou "Je regarde passer les chauves" de Sandrine Sens, qui disent le métro parisien. Mais après tout, pourquoi ne pas aller un peu plus loin?
Dominique Brand, A quai la terre, Lausanne, BSN Press, 2021.
Le site des éditions BSN Press.
Lu par Francis Richard.
mercredi 24 février 2021
Jean Claude Hautdegant, le parcours d'un initié
dimanche 21 février 2021
Dimanche poétique 487: Joachim du Bellay
Quand je te dis adieu, pour m'en venir ici
Quand je te dis adieu, pour m'en venir ici,
Tu me dis, mon La Haye, il m'en souvient encore :
Souvienne-toi, Bellay, de ce que tu es ore,
Et comme tu t'en vas, retourne-t'en ainsi.
Et tel comme je vins, je m'en retourne aussi :
Hormis un repentir qui le coeur me dévore,
Qui me ride le front, qui mon chef décolore,
Et qui me fait plus bas enfoncer le sourcil.
Ce triste repentir, qui me ronge et me lime,
Ne vient (car j'en suis net) pour sentir quelque crime,
Mais pour m'être trois ans à ce bord arrêté :
Et pour m'être abusé d'une ingrate espérance,
Qui pour venir ici trouver la pauvreté,
M'a fait (sot que je suis) abandonner la France.
Deux femmes suisses au Nicaragua, entre sororité et choc des cultures
Danielle Coquoz – Le Rio Coco, vous connaissez? C'est le fleuve qui sépare le Honduras du Nicaragua. Peut-être en connaissez-vous le nom originel, à lui donné par les Amérindiens Miskitos, qui donne son titre au témoignage de Danielle Coquoz: "Rio Wangki". L'auteure y relate les mois qu'elle a passés en Amérique centrale dans le cadre d'une mission un peu folle au chevet des Miskitos, qui sont une population déplacée pendant des années 1980 marquées par la guerre civile. L'idée? Leur faire retrouver leurs terres d'origine. Cela, sous l'égide du CICR.
Le lecteur est vite happé par la musique que l'auteure installe. Cette musique, c'est celle qui installe de l'humour au fil de mots. L'auteure n'hésite pas à rire d'elle-même et de sa propre aventure, presque quarante ans plus tard. Il en résulte un ton résolument familier qui souligne le talent naturel de conteuse de l'auteure. Un talent qui s'exprime tant dans l'anecdote que dans la relation des enjeux d'une mission assez lourde, voire dans les rappels historiques, qui ne sont jamais ennuyeux.
Alors oui: il y a des choses sérieuses dans "Rio Wangki". L'auteure insiste régulièrement sur l'impératif de neutralité auquel le CICR doit rigoureusement se soumettre lorsqu'il intervient en des lieux où la guerre sévit – et en l'espèce, ce témoignage plonge dans les temps où les Contras et les Sandinistes se font face au Nicaragua. Cette neutralité transparaît dans "Rio Wangki", qui refuse de prendre parti pour les uns ou pour les autres. Qui plus est, en relatant une page d'histoire des Miskitos, il observe, avec toute la distance voulue, une communauté autochtone qui, pour des raisons historiques bien expliquées, penche vers ceux qui parlent anglais. Et jamais l'auteure, strictement descriptive, ne condamne ni n'approuve ce parti pris.
"Rio Wangki", c'est une aventure humaine et interculturelle à plus d'un titre, et c'est au fil des anecdotes que l'auteure le révèle. L'auteure se met en scène tantôt face aux Miskitos dont elle découvre les coutumes peu à peu, tantôt face aux latinos qui seront ses collaborateurs, qu'ils soient capitaines de navire, responsables logistiques ou bénévoles humanitaires. Un jour, il faudra virer séance tenante un homme qui utilise la nourriture livrée par le CICR pour monnayer des faveurs sexuelles auprès de femmes contraintes par la misère à cette extrémité. Un autre, l'auteure découvre les noms des Miskitos, pittoresques ou inquiétants. Mais le choc des cultures vécu sous les assauts des moustiques et les déluges démentiels, n'est pas exempt de rires ni de sourires.
Enfin, en évoquant sa collaboration avec sa collègue Andrée Juvet, l'écrivaine relate une véritable complicité, pour ne pas dire sororité, face à l'adversité d'un monde hostile – tantôt à cause des hommes, tantôt à cause de la nature. On se soutient moralement lorsque le moral flanche, on va jusqu'à se sauver la mise l'une l'autre, dans un esprit d'équipe réellement vécu. Cela va jusqu'aux rituels, par exemple les repas bien arrosés entre copines dans ce bistrot "un rien chicos" de Puerto Cabezas, où des crocodiles nagent dans un aquarium, face aux clients. Et deux femmes en mission, c'est un monde de particularités que l'auteure relate: nécessité d'être ferme lorsque ça menace de sortir des rails, mais aussi possibilité de s'ouvrir des portes sur des choses aussi triviales qu'un besoin pressant sur le territoire du Honduras, en principe interdit d'accostage à la mission.
L'auteure est consciente qu'en tant qu'envoyée du CICR au Nicaragua, elle est le maillon d'une chaîne: d'autres reprendront en main le projet de relation d'une population qu'elle a lancé, de même qu'elle aura peut-être été la continuatrice d'autres projets. Sincère et joyeuse, elle relate avec talent une tranche de vie aux allures parfois folles ou acrobatiques où l'adversité comme les soutiens prennent des formes inattendues.
Danielle Coquoz, Rio Wangki, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.
Le site des éditions Plaisir de lire.
mardi 16 février 2021
Prophéties en Bretagne et conséquences
Liza Lo Bartolo Bardin – La Bretagne, une terre de légendes... voilà bien un classique! La romancière Liza Lo Bartolo Bardin revisite cette idée avec habileté dans un roman solide intitulé "Eärwenn, les messagers de la lande". Ses ressorts sont l'imaginaire des Templiers et la possibilité d'une appréhension du réel druidique, alternative, ésotérique somme toute, mais ô combien riche. Surtout, elle utilise comme substrat la Prophétie de Jean de Jérusalem, controversée mais d'une troublante actualité – et source romanesque fertile et originale.
On ne peut qu'adorer Eärwenn, personnage moteur du roman, cette vingtenaire originale qu'on dit bizarre voire doucement dingue parce qu'elle voit le monde avec ses yeux à elle, qui ne sont pas toujours ceux de la raison. Vrai: elle ne répond jamais aux questions de la raison, celles que lui pose par exemple Thierry, un jeune homme qui en tombe raide amoureux parce qu'il a su, à un certain moment, la regarder sans préjugés. L'écrivaine fait d'Eärwenn un personnage bourré de fraîcheur, mais aussi un guide que Thierry n'aurait jamais suivie sans le moteur de l'amour.
Pour souligner le caractère fantastique de son roman, la romancière souligne telle ou telle légende du cru, à l'instar de ce bâton de Gargantua ou de l'empreinte de son pied. Légendes immémoriales qui font écho à des histoires plus récentes, moins flamboyantes puisqu'elles reposent sur des amours contrariées. Celles-ci s'articulent autour de la mort mystérieuse du marin breton Pierrig De Collmeuc (il en faut bien un), d'un certain Charles-Henri, alcoolique presque sympathique et très intéressé par les vieilles pierres, et de Rozenn, qui aurait pu, dû être sa femme.
Qui est mort, qui est vif? Le chapitre 21 s'ouvre sur une nouvelle période, paraît détaché du reste du roman puisqu'il se déroule à Paris, quatre ans après l'idylle vécue entre Thierry, qu'on a pu croire mort, et Eärwenn. Pourtant, c'est là que la romancière renoue les fils encore rompus d'un généreux récit – dans un esprit qui paraît plus réaliste mais n'en conserve pas moins un bout de fantastique. Qui est en effet cette mystérieuse femme que Thierry rencontre çà et là, alors qu'il écrit des romans aux atmosphères de conte breton? Est-elle un ange, l'éternel féminin ou, à nouveau, l'envoyée des messagers de la lande?
Sur des bases solides, rédigé sur un ton fluide, le roman "Eärwenn, les messagers de la lande" sait embarquer ses lecteurs dans un monde qui plonge ses racines dans l'imaginaire des légendes chrétiennes. Cela, dans un terroir gorgé d'histoires d'hier comme d'aujourd'hui.
Liza Lo Bartolo Bardin, Eärwenn, les messagers de la lande, Saint-Etienne, Laura Mare Editions, 2010.
Le blog de Liza Lo Bartolo Bardin.
Lu par Goliath, Laurence Lopez Hodiesne.