Francine Wohnlich – Au cœur de "Sous ton feuillage", roman de la comédienne et metteuse en scène genevoise Francine Wohnlich, il y a une vie de couple difficile entre deux personnages d'âge mur, Clémence et Ivo. Ce roman est structuré en quatre saisons qui sont autant de moments de la relation, écrits chacun dans une tonalité propre.
Peut-on vraiment aimer les personnages que l'auteure met en scène? On se le demande en lisant la première séquence, "Printemps". Le lecteur voit un personnage, Clémence, qui se morfond dans sa solitude et ne paraît donc pas très attachant. Pourtant, cette séquence est techniquement une exposition impeccable, indiquant la voie que va suivre le roman: un peu d'écologie, et, en creux, un absent, cet Ivo que la romancière fera vivre plus loin.
Celui-ci paraît prendre toute la place de la séquence la plus longue du livre, "Automne". Le lecteur découvre avec lui un personnage perçu comme contradictoire et paradoxal, mais qui apparaît peu à peu comme à la fois désireux d'être discret et ne pouvant s'empêcher de prendre toute la place. Ivo, c'est aussi celui qui ne sait pas mettre des limites, observant impuissant ses enfants le bouffer: un fils écologiste radical, quasi-assassin, qui squatte chez sa compagne, et une fille majeure qui exige, lois à l'appui, qu'il lui paie son loyer. C'est pourtant à Clémence qu'à la fin, il dira "non" en tirant sa révérence, revendiquant sa "liberté".
Une Clémence qui, de son côté, se veut libre et a toujours dit "non" aux enfants d'Ivo, nés d'un premier lit. On imagine que l'ambiance est tendue... et c'est le cas: les discussions conflictuelles qui hantent la première partie de la séquence "Automne" en témoignent, Clémence exigeant de la distance, Ivo cuisinant pour son fils qui devrait rendre une visite... et aura quatre jours de retard, sans avertissement. Ces tensions fissurent une relation torturée, marquée par les conflits plus ou moins déclarés, souffrant du manque d'assertivité d'Ivo.
A cela viennent s'ajouter les affres de la famille de Jude et Bertil, liée à Clémence et Ivo. Jude part en cure pour soigner un alcoolisme chronique, mais Bertil saura-t-il combler l'absence de son épouse? Fort justement, l'auteure met en scène ces enfants qui posent des questions, qu'il faut détromper, qui essaient de vivre dans une situation familiale compliquée, empreinte – on n'en sort pas – de secrets qui créent des tensions. Le lecteur se sent ainsi invité à observer minutieusement, indiscret malgré lui, les liens délétères qui régissent tout un microcosme.
Un microcosme où l'on pleure beaucoup, soit dit en passant. Ivo n'est pas le dernier à verser des larmes, bien au contraire. On pourrait suivre le stéréotype classique qui veut qu'un homme ne pleure pas, et en conclure que s'il pleure, c'est parce qu'il est faible – et la lecture de "Sous ton feuillage" n'exclut pas cette manière de voir. Mais ces pleurs peuvent aussi être vus comme les moments où Ivo se présente de façon spontanée, sans stratégie de positionnement social. Cela dit, il n'est pas seul à pleurer au fil de ces pages enchevêtrées comme une dentelle...
... ou comme les cheveux d'une fillette. Ainsi, lorsque Clémence démêle patiemment les cheveux d'Iseult la fillette, il est permis de voir dans cette scène la promesse imagée d'une volonté d'y voir enfin plus clair, afin de sortir des pièges relationnels qui mènent immanquablement aux conflits et aux portes qui claquent. Ainsi se termine un roman qui cogne, construit en quatre sections ayant chacun leur personnalité (les haïkus de "Printemps", respiration bienvenue, ne reviendront pas plus tard, et "Hiver" joue en partie sur les voix des personnages du roman, dans leur singularité au fil des âges), faite à la fois de rythme délicatement ciselé et de poésie.
Francine Wohnlich, Sous ton feuillage, Genève, Encre Fraîche, 2022.
Le site des éditions Encre Fraîche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!