Michel Niquille – Il fallait bien que Michel Niquille, actif comme consultant passionné dans le secteur de l'exploitation du bois depuis plusieurs années, écrive et publie un roman qui trouve sa scène de crime dans une scierie. C'est chose faite avec "La tête dans la sciure", un polar court et efficace qui assume son côté terroir, entre Charmey et Lausanne – donc entre ville et campagne, avec Fribourg qui fait tampon.
Voyons d'abord la victime, ce cadavre que personne n'aime, ce macchabée que le lecteur découvre après quelques lignes seulement... Victime de son goût des femmes et du fric facile, Doffey se retrouve littéralement entre quatre planches d'une scierie de village, la tête tranchée à la feuille de boucher. Qui est le coupable? Question classique, à laquelle répond peu à peu une équipe d'enquêteurs autour du commissaire Ruffieux, personnage récurrent des romans policiers de Michel Niquille.
Ruffieux est un bonhomme qui monte ses approches à la manière d'un jeu de go. Dans le contexte un peu cow-boy des années 1980, il se profile comme un enquêteur intègre et sans a priori. Pas évident: dans le canton de Fribourg, il convient en effet toujours, en cette fin de vingtième siècle, de ménager les susceptibilités des notables, et la séparation des pouvoirs paraît parfois bien théorique. Ce qui transparaît par exemple lors d'interrogatoires délicats avec des notaires ou avocats en vue, ayant eu affaire avec la victime parce que celle-ci, un jour, a été inquiétée.
"La tête dans la sciure" renoue avec quelques marottes de l'écrivain: les moteurs du crime sont une fois de plus le sexe et l'argent, lorsqu'ils commencent à dépasser de braves gens qui en sont obsédés. Alors que Doffey est un escroc notoire, l'auteur dépeint également quelques dynamiques villageoises à base de jalousies. Il y a en particulier la cabale dont sera victime la famille Chervet, dont le père, bûcheron adroit mais grevé par une lourde hypothèque, finit par faire de l'ombre aux artisans locaux, plus chers et moins efficaces. Les rognes qui naîtront de son éviction résonnent sur plus d'une génération.
Côté sexe, Doffey l'homme à femmes mène la danse, et certaines de ses fréquentations et préférences permettent de nouer les fils de l'enquête. L'opposition ville-campagne se joue entre autres ici, par exemple par le biais d'une partie de jambes en l'air en forêt à l'occasion d'un bal villageois: marquée par une violence consentie entre les amants, elle révèle à Doffey (qui n'est pas resté... de bois!) qu'il aime le sadomasochisme, d'un côté comme de l'autre. Mais voilà: Doffey le dominateur au village sera le dominé en ville, vendant ses services aux rombières qui hantent un club spécialisé lausannois, à des conditions strictes.
Mais c'est au travers de la famille Chervet, encore une fois, que l'opposition ville-campagne s'exprime le plus fort. Déracinée à Lausanne alors qu'elle est coutumière des villages fribourgeois, elle se remet en question, et pas sans dommages. Habitué à l'élevage, le père se retrouve ainsi tueur aux abattoirs, métier perçu comme vaguement honteux dont l'odeur est le symbole et auquel le père Chervet tente de donner un semblant d'humanité en parlant au bétail appelé à l'abattage. Pieuse, son épouse Greta trouve de l'embauche dans le club spécialisé déjà mentionné. Quant aux trois enfants, tous sont partis... sauf Paul, victime de ce qu'on n'appelait pas encore "harcèlement scolaire" à l'époque (en fait, les profs étaient plus ou moins complices des harceleurs à l'époque, ne serait-ce que par leur indifférence – "c'est des querelles de gamins"...), mais fidèle à une promesse d'enfance: la vengeance.
Alors, qui a tué celui que tout le monde déteste, ce Doffey qui a ruiné plein de gens mais jouit d'une relative immunité du fait de sa situation de capitaine d'infanterie et d'ancien député au Grand Conseil? Au fil des courts chapitres de ce polar, le lecteur suit avec appétit les hypothèses plus ou moins solides qui se présentent au commissaire Ruffieux. Face à lui, l'auteur place une brochette vivement colorée de témoins et de suspects, suggérant tout ce qu'un fait divers peut secouer dans un canton suisse, celui de Fribourg, qu'on imagine plutôt paisible.
Michel Niquille, La tête dans la sciure, Bulle, Editions de la Trême, 2022.
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