Marc-Edouard Nabe – "Visage de Turc en pleurs" est le récit flamboyant d'un voyage fait par l'écrivain Marc-Edouard Nabe à Istanbul. Ce voyage arbore les couleurs d'un retour aux sources familiales, mais aussi d'une plongée dans une ville qui va s'avérer déroutante pour l'auteur et d'un moment de mysticisme exacerbé, entre christianisme et islam.
Le lecteur est d'emblée frappé par l'exubérance de l'écriture. Loin de toute facilité, celle-ci est le fruit d'un travail rigoureux sur les mots afin de créer une musique où les sonorités s'interpellent.
Et la musique des mots entre en résonance avec la musique tout court, omniprésente dans "Visage de Turc en pleurs": ça commence avec "L'Enlèvement au sérail", entendu à tire-larigot chez un Turco-Grec nommé Tristos. Puis viennent le jazz bien sûr, ou Frank Sinatra pour un peu d'insupportable couleur internationale. Et les chants religieux, enfin, qu'il s'agisse de cantiques chrétiens à l'orgue ou de l'appel à la prière du muezzin.
Enfin, la clarinette occupe une place à part dans "Visage du Turc en pleurs", jusqu'à devenir un leitmotiv discret. Elle fait image lorsque l'auteur évoque les narghilés fumés, ou lorsqu'il parle de minarets. Au travers de cet instrument de musique, c'est la figure du père de Marc-Edouard Nabe, Marcel Zanini, clarinettiste de jazz.
Au fil des pages, l'auteur donne à voir les lieux qu'il visite. Ceux-ci sont pour une bonne part les passages obligés du touriste qui découvre Istanbul, évoqués entre dégoût franc et admiration totale. L'écrivain les magnifie par l'image, empreinte de verve, exaltée parfois jusqu'à l'excès. Sa vision est également nourrie de références historiques et littéraires, celle de Pierre Loti en particulier. En mettant en exergue, par l'image, les couleurs et la sensualité qu'il trouve aux mosquées d'Istanbul, l'écrivain ouvre la porte au thème du mysticisme.
Nombreuses sont dès lors les digressions sur la conception de la foi que l'écrivain ressent. Ce sont là des pages personnelles, intimes même, qui gardent leur côté flamboyant mais pourront paraître un peu longues. De même, la citation d'une messe entière, célébrée avec l'évêque du cru, apparaîtra quelque peu gratuite à ceux qui préfèrent les péripéties d'un voyage rêvé.
De celles-ci, on retient entre autres le caractère à peine croyable d'une rencontre avec un amateur d'opéra au genre incertain, Tristos, et de son compagnon. Ou une sortie en tapis volant, faite avec une danseuse aux sept voiles et au nombril irrésistible à l'issue d'un achat spontané. Ou encore une irruption dans un mariage organisé dans l'hôtel "Katrétoile" où loge le narrateur, qui passe partout grâce au nœud papillon qui caractérisait son style vestimentaire à l'époque.
Enfin, l'écrivain ne manque pas de conférer, sans abuser du procédé, une couleur un peu turque aux mots qu'il utilise, tout en les gardant reconnaissables en français: taksi, kuaförs, Krado Oteli, Markédoir... Cela, pour donner une touche d'accent peut-être; mais surtout pour rappeler que l'univers dans lequel l'écrivain se plonge et plonge son lecteur, écartelé entre deux continents, est à la fois semblable et différent de celui où vit l'Européen occidental moyen.
Marc-Edouard Nabe, Visage de Turc en pleurs, Paris, Gallimard, 1992. Dessins et lettrines de l'auteur.
Le site de Marc-Edouard Nabe, celui des éditions Gallimard.
Egalement lu par Tilly Bayard-Richard, Wodka.
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