Tomaso Solari – Il est avant tout question de New York dans "Comment ferait Lubitsch?", roman de Tomaso Solari. La mention d'Ernst Lubitsch en titre annonce une approche qui emprunte résolument au cinéma: "Comment ferait Lubitsch?" virevolte autour de ses personnages, allant jusqu'à suggérer ce que le pudique code Hays interdit de montrer. Mais c'est bien Harper Finnegan, multimillionnaire fantasque, qui occupe la scène de ce roman dont plus d'une caractéristique emprunte au cinéma à l'ancienne.
C'est Harper Finnegan qui hante le premier degré du roman "Comment ferait Lubitsch?". Un premier degré de cinéma, pour le coup: le lecteur découvre avec Harper Finnegan un bonhomme avide de musique et de cinéma, dont la phrase favorite est "Suivez cette voiture!" – une manière de s'ouvrir à l'aventure au gré des taxis qu'il emprunte.
Quant au deuxième degré, sa porte est ouverte grâce au personnage de la Chinoise Nénuphar, une amante de l'après-midi pour ce Harper Finnegan désœuvré qui pourrait bénéficier d'un supplément d'amour au fil des hommes et des femmes qui s'entrecroisent dans ce livre.
Mais voilà: est-il possible de recréer un monde cinématographique parfait avec les personnages du roman "Comment ferait Lubitsch?"? Désireux de recréer de façon identique le film "Love In The Afternoon" de Billy Wilder (1957), Harper Finnegan se positionne comme un copieur adroit, plutôt trois fois qu'une. Ce projet multiple, élaboré à grands frais, c'est la recréation à l'identique de tout un film, avec Gary Cooper, Maurice Chevalier et Audrey Hepburn, rebaptisé "Ariane" en français.
Gorgé de cinéma, "Comment ferait Lubitsch?" cerne les Etats-Unis du milieu du vingtième siècle, avec leurs démons. Autour de Harper Finnegan, le lecteur va se retrouver en présence d'une famille lourde de secrets, baignés par les Kennedy, Bobby en particulier. Grand-mère doit-elle dire ce qu'il faut à son petit-fils, jusqu'à l'histoire de ce pendu noir dont la photo apparaît dans un mystérieux album de famille? Qu'il s'agisse d'un homme lynché ou des zones d'ombre de la mort de Bob Kennedy, l'écrivain, qui a lui-même vécu du côté de New York dans sa jeunesse, choisit de créer un monde de secrets propre à fonder tout un roman.
Pour Harper Finnegan, c'est l'amour qui va constituer la promesse d'une façon de vivre enfin normalement. Normalement? Oui, s'il faut faire abstraction des contraintes de la vie new-yorkaise et des difficultés (Ah oui? Ah oui!) qu'il y a à vivre lorsqu'on est très riche, par exemple lorsque Harper Finnegan se met en tête de faire son propre film ou qu'une horde d'avocats l'interpelle à ce sujet. C'est là une volonté fantasque, acceptée par une équipe de tournage bien rétribuée, mais qui peine à aller jusqu'au bout. Après tout, c'est à Harper Finnegan de trouver la bonne voie, celle des sentiments francs mais qu'on ne sait pas reconnaître immédiatement.
Construit autour des secrets de famille et de dynasties, le roman "Comment ferait Lubitsch?" est un film aux séquences rapides, avec des focalisations changeantes qui s'inspirent du cinéma. Au fil des pages et jusqu'au bout du propos, ce roman mêle Harper Finnegan, à la fois bonhomme fantasque qui pourrait n'être qu'une fiction, et ce même bonhomme hanté par la réalité: que sont les amours, les attirances, la vie? Le cinéma va rapprocher ces aspects, par-delà les points de vue des uns et des autres. Ainsi, il est permis de poser la question: le cinéma est-il plus vrai que la vérité, et vice versa? Ou n'est-il que le créateur d'une autre manière, résolument artistique, de voir le monde?
Et surtout, question ultime posée par ce livre-film qui mêle adroitement réalité et cinéma: est-ce qu'il vaut la peine de tourner un film par amour, comme une page de vie, ou pour mieux se connaître? A vous d'y réfléchir!
Tomaso Solari, Comment ferait Lubitsch?, Genève, Editions Encre fraîche, 2022.
Le site des éditions Encre Fraîche.
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