Olivier Chapuis – "Le sport, c'est comme l'alcool, faut pas abuser, sinon on est saoulé", indique l'un des personnages du dernier micro-roman d'Olivier Chapuis, "Tartan". Partant de ce principe, l'auteur décrit la montée d'une "obsession ordinaire": celle de la course à pied, quand elle devient une drogue – en l'espèce, certains savants disent "bigorexie", d'autres "sportoolisme".
Et le parallèle avec l'alcool ou avec d'autres addictions apparaît de manière évidente: l'auteur montre comment, peu à peu, la dépendance prend toute la place. Cela, au travers du personnage de Simon, un jeune quadragénaire a priori ordinaire, un peu ventru à force d'être sédentaire, entouré d'une famille non dysfonctionnelle et d'un emploi d'architecte qui l'occupe généreusement et le passionne. La pratique de la course à pied s'impose dans ce petit monde à la manière d'un intrus.
Quadragénaire? Derrière la jolie façade, il y a quand même deux ou trois choses qui prédisposent le personnage à faire l'objet d'une telle addiction. Il y a en particulier un tempérament obsessionnel et perfectionniste qui pousse le bonhomme à aller au bout de ce qu'il commence, à fond et avec rigueur. C'est bien pour l'architecture, mais pour un loisir dont le but est simplement de rester en forme, c'est peut-être un peu trop.
Tout commence tout doucement, à telle enseigne qu'on peut se demander, au tout début du roman, où l'auteur veut en venir en décrivant un personnage a priori modèle et sans histoire. Une impression trompeuse: peu à peu, le romancier ménage un crescendo inexorable qui va jusqu'au bout.
Les figures imposées de l'exercice sont présentes bien sûr, et il n'y a pas de faux pas. Tout compte: le choix du matériel, les anecdotes et les connaissances de la discipline (le "tartan" éponyme est par exemple le revêtement utilisé pour les pistes de course à pied des stades), les tentatives de compétition, ou la douce euphorie qui, peu à peu, se fait désirer, comme l'ivresse lorsqu'on est trop habitué à l'alcool.
Le rapprochement avec l'alcool est suggéré aussi quand quelqu'un cache les chaussures de sport de Simon, comme on cacherait ses bouteilles à un ivrogne dans l'espoir qu'il mette fin à son péché (pas forcément) mignon. Enfin, les frictions avec la famille et les collègues ne manquent pas de se faire jour, petit à petit: le bonheur du coureur compulsif se déguste en solitaire, voire en égoïste...
L'auteur ne juge pas, il se contente de narrer, en recourant le plus souvent à des phrases courtes et incisives qui contribuent, de même que la brièveté de certains chapitres, à une atmosphère percutante. En rappelant des impressions qu'on a peut-être déjà vécues ou constatées avec d'autres assuétudes, l'auteur aborde judicieusement, dans "Tartan", une question peut-être plus fréquente qu'il n'y paraît même si elle est méconnue: celle de l'addiction au sport.
Olivier Chapuis, Tartan, Lausanne, BSN Press, 2022.
Le site des éditions BSN Press.
Eh bien, j'ai déjà entendu parler de l'addiction au sport (à cause de l'endorphine produite) mais je ne connaissais pas ce mot de bigorexie ! Je note, pourquoi pas, s'il croise ma route, même si je ne cours pas.
RépondreSupprimerEn effet PatiVore, c'est un mot rare... et ce petit livre l'illustre parfaitement. À essayer! (je précise que moi non plus, je ne pratique pas la course à pied! :-) )
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