Daniel Galasso – Le dessin, et rien que le dessin, pour raconter un récit d'anticipation? Tel est le défi que s'est lancé Daniel Galasso, artiste et graphiste genevois. Résultat: il offre à présent à son lectorat un roman graphique fascinant intitulé "Sentinelles".
L'intrigue est simple, elle est classique aussi: en l'an de grâce 2053, l'humanité est menacée par une catastrophe environnementale qui prend la forme d'insectes dont la piqûre tue. Quelques humains sont cependant naturellement immunisés, ce qui leur permet de s'engager pour le salut de leurs semblables en brûlant les nids des hyménoptères mortels. Ce sont les "Sentinels", ces personnages qui hantent l'ouvrage, dessinés de manière à la fois réaliste et expressive: leurs visages se passent de mots.
Côté narration, l'auteur sous-tend l'idée que soudain, l'humain n'est plus à la bonne extrémité de la chaîne alimentaire: il a un prédateur impitoyable, plus petit que lui qui plus est. Ce prédateur est-il une créature sortie d'un laboratoire? La question est ouverte. Et l'ouvrage, commencé avec des insectes, s'achève sur l'idée d'un rapport renouvelé entre l'humain et les autres espèces animales.
"Roman graphique": c'est au sens fort qu'il faut comprendre ce mot lorsqu'on feuillette "Sentinelles", un ouvrage dont les dessins sont aussi saisissants que des photographies de presse. S'ils paraissent calmes, ces dessins ne font que refléter les dégâts d'un cataclysme sans précédent: cadavres qui jonchent les rues, véhicules démolis ou éventrés sur la route. Une prédilection pour les traits verticaux dans la pose des couleurs et nuances donne par ailleurs l'impression d'un temps constamment pluvieux.
Enfin, l'agencement étudié des dessins, en pleine double page ou en cascade, contribue à leur force d'expression: tantôt on est dans le beau livre de photographies, tantôt l'auteur emprunte aux codes de la bande dessinée, qu'il transcende à sa manière.
Les jeux de couleurs contribuent aussi à l'ambiance: il suffit de voir les tout premiers dessins, en sépia, pour être plongé dans un climat d'inquiétude. Un songe en noir, gris et blanc relate même ce que l'homme peut faire de pire à ses semblables. Quant au réel, dessiné en gris avec des touches de couleur, il s'avère peu à peu porteur d'espoir. Mais pas seulement: à chacun de voir, par exemple, le sens qu'il voudra donner à "Guernica" de Picasso, œuvre citée sous forme de graffiti dans "Sentinelles" – en couleurs, s'il vous plaît.
Et l'observateur constate que l'auteur s'amuse avec l'idée d'une vision à la fois futuriste et familière de Genève. Il n'y a certes pas de nouveaux bâtiments spectaculaires dans "Sentinelles". En revanche, ceux d'aujourd'hui, encore debout, offrent progressivement, au fil des pages, une place accrue à une nature qui reprend ses droits. On y verra de la végétation, parfois.
Et, surtout en fin d'ouvrage, le lecteur y voit des animaux qui finissent par prendre toute la place. La place qui est la leur, renvoyant l'espèce humaine à une certaine modestie. Si le teckel courant sur l'autoroute fait sourire, les chevaux impressionnent sur ce même lieu, d'où les voitures paraissent bannies, briquées sur la bande d'arrêt d'urgence. Et que dire de ces flamants roses avec une centrale nucléaire en arrière-plan? À qui appartient l'avenir, selon le dessinateur?
Pour faire passer l'essentiel des messages à ses lecteurs les plus rationnels, enfin, l'auteur s'autorise une double page consacrée à la reproduction dessinée de journaux, parfaitement lisibles pour le lecteur – le dessinateur a poussé le réalisme jusqu'à reproduire les coquilles indissociables de la presse écrite... Le dessin en question fait dès lors office de guide de lecture pour tout ce bel et luxueux ouvrage, proposé en version cartonnée comme les grandes bandes dessinées d'antan.
Daniel Galasso, Sentinelles, Vevey, Hélice Hélas, 2022.
Le site de Daniel Galasso, celui des éditions Hélice Hélas.
Cher lecteur et critique, quel plaisir de vous lire. Wahou! Je suis très touché. Vous avez lu et vu si justement entre mes cases qui ne comportent aucun texte... Votre analyse et enthousiasme m’invite à envisager de poursuivre mes pérégrinations dans le monde de la bande dessinée. En espérant vous croiser un de ces quatre dans les «couloirs» d’Hélice Hélas. Merci, Daniel Galasso
RépondreSupprimerCher Monsieur, merci de votre retour! Merci également pour le bon moment de "lecture" que m'a valu votre ouvrage. Nous nous reverrons en effet sans doute dans les couloirs d'Hélice Hélas, qui est également l'éditeur de mon premier roman. D'ici là, je vous souhaite tout de bon!
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