Quentin Mouron – L'amour et la poésie font ménage commun dans les poèmes de Quentin Mouron. Après "Pourquoi je suis communiste", l'écrivain suisse est de retour avec un nouveau recueil de dix textes composés en vers libres. L'actualité toute proche y suinte: ça s'appelle "La Haine des oiseaux".
Eclats de guerre
Tout commence comme par éclats sur un premier poème, "Guerre", composé en vers courts comme le zapping télévisuel qui n'empêche pas l'information d'imprégner l'existence: les mots choisis suggèrent, pour ainsi dire subliminaux, les informations rituelles du soir, évocatrices du conflit ukrainien.
Par un contraste choquant, les futilités de la vie, entre autres le yoga dans une salle à poutres apparentes, reviennent: c'est la guerre pas loin, mais on continue notre vie par ici. Et l'amour vient couronner le tout, fait de désir dit en mots francs, avec une question dérangeante: un baiser vaudrait-il moins qu'un litre d'essence?
Enfin, "Guerre" trouve un rappel en fin de recueil avec "Guerre II", donnant à l'ouvrage un caractère cyclique, avant un dernier hommage un peu à part dédié à Jeannine Mouron.
Palette expressive étendue
"En attendant Godot" pourra plus lent que "Guerre", mais ce n'est pas dû à la longueur des vers, dont la brièveté claque toujours. Dès lors, ce sont les strophes, plus longues, qui impriment leur rythme traînant comme les journées passées au bord du lac Léman. Quant aux mots gadgets de l'époque, ils trouvent leur place dans "La haine des oiseaux", quitte à ce qu'ils revêtement leur abréviation familière: LCI d'un côté, TPMP ailleurs.
Ainsi, le poète étend sa palette expressive en ajustant vers et strophes à son propos, avec justesse, travaillant la musique par le ressassement d'idées et d'éléments de langage, via l'anaphore entre autres. "Aux marges de l'éternité" fait bande à part avec son écriture en forme de bloc rectangulaire aux allures de bâtiment de béton. C'est pour le poète un moment d'expression hyperréaliste, ouvrant une porte sur la banalité du travail et des gens. Et là encore, l'actualité s'infiltre, via une radio qui parle curieusement polonais.
Et l'on voit peu à peu, au fil des pages, que s'il y a bien un "nous" entre le poète et sa compagne, celui-ci n'est guère exclusif puisque l'autre, "tu", ne dédaigne pas Tinder. Il sera aussi question de drague de rue avec "Le Théâtre de la cruauté", et d'autres éléments de notre époque encore, au gré des vers. Deux modes de consommation du désir...
Quelle interpénétration?
Une question subsiste chez le lecteur lorsqu'il referme le recueil: alors que l'auteur annonce qu'il veut proposer une poésie de l'extérieur, "lecture engagée de notre modernité", le "je" des poèmes paraît parfois curieusement distancé de cette modernité, vivant dans une bulle protégée, faite entre autres de sentiments.
Dès lors, on s'interroge: "La Haine des oiseaux" est-il un recueil où l'actualité vient irriguer la vie quotidienne, tout en restant à distance derrière l'écran de la télé ou le haut-parleur de la radio, ou un ouvrage où la vie quotidienne vient submerger l'actualité, en une complémentarité sans réelle interpénétration? La question est ouverte...
Quentin Mouron, La Haine des oiseaux, Dole, Olivier Morattel Editeur, 2022.
Le site de Quentin Mouron, celui d'Olivier Morattel Editeur.
La poésie n'a jamais été mon genre de prédilection. Je tenterai en 2023 de m'y intéresser d'avance. Merci pour ce retour !
RépondreSupprimerDe rien, merci de ton commentaire! :-)
SupprimerJe lis parfois de la poésie, en effet - surtout des ouvrages que l'on m'envoie en service de presse. Je fais aussi de la place à ce genre avec les "dimanches poétiques" - ce qui me permet de faire des découvertes.
Bonne fin de semaine à toi!
Je n'ai pas lu le recueil, mais tu en parles sublimement bien et ta conclusion à elle seule donne envie de s'atteler à la lecture des mots de l'auteur.
RépondreSupprimerBonjour Audrey! Celui-ci fut une bonne surprise en effet! Sinon, cet auteur suisse a également écrit plusieurs romans au style très personnel.
SupprimerBon week-end à toi!