Pierre-André Milhit – Promenons-nous au village... c'est à une balade que l'écrivain valaisan Pierre-André Milhit invite ses lecteurs avec "Itinéraires fourvoyés". C'est un roman aux ambitions expérimentales porté par cinq regards sur la même histoire et surtout les mêmes lieux, imposant cinq formes d'écriture distinctes.
"Surtout", oui! En effet, le lecteur est invité à se plonger dans un ouvrage qui, nécessairement, fait la part belle aux descriptions tous azimuts. Les lieux sont minutieusement observés, leur histoire est également évoquée, tant réelle que légendaire, avec une pointe d'esprit décalé: il conviendra ainsi de ne pas confondre le logement du confesseur et le lupanar tout proche. Et avec la jeune femme qui hante l'ouvrage, on va passer devant une boutique d'appareils de mise à mort. Tout cela, pour donner une âme aux lieux, avec succès, et y faire jaillir d'étranges petites histoires dans la grande.
Occupant la moitié du roman le "Livre 1", sous-titré "Itinéraire initié par l'auteur" fait figure de scène d'exposition, foisonnante dans son ambition de tout dire, sensuelle aussi car il sera question d'amour. C'est une exposition complète, omnisciente. Les lieux? On se croirait en Valais, un Valais jamais nommé mais suggéré par quelques allusions (les noms de Maurice Chappaz ou Corinna Bille apparaissent), intemporel malgré quelques rares marqueurs d'époque (la nôtre) tels que des casques audio ou une allusion à une épidémie. Un Valais où, également, se balade un tamanoir des plus incongrus.
Dès lors, le "Livre 2", sous-titré "Textes des quinze rouleaux", qui cite les quinze rouleaux de textes que la jeune femme a reçus de l'"homme-oiseau" parapentiste qu'elle aime, paraît déconcertant: il reprend simplement des phrases du "Livre 1", sans les modifier. Certes, elles résonnent autrement ainsi réagencées, dans un esprit plus ramassé. Mais le lecteur ne manque pas d'avoir, l'espace de quelques pages, une impression de redite, juste tempérée par l'indication des coordonnées géographiques, qui remplace les noms des rues cités dans le "Livre 1".
La refonte du récit apparaît plus originale soudain, plus nouvelle aussi, dans les "Livres 3 et 4". Conçu comme un "Reportage photographique", le "Livre 3" s'avère technique. Il reprend les éléments de langage du livre 1 et les refond dans un souci, bien entendu, essentiellement visuel. Quant au "Livre 4", sous-titré "Retranscription du fichier audio", il s'avère quant à lui auditif, avec une écriture sans ponctuation, un poil fastidieuse à suivre, mais c'est voulu: l'auteur réussit à recréer l'impression qu'on écoute une de ces vieilles cassettes audio au son usé comme le langage, et qui font des bruits parasites dûment transcrits.
Enfin, le "Livre 5", "Itinéraire vécu par la jeune femme", revient à une ligne claire pour donner, enfin, la parole à la principale personnalité de ces "Itinéraires fourvoyés". Expérimental, volontiers sensuel, déconcertant parfois, ce roman empreint de poésie, teinté des idées de l'Oulipo, apporte des regards variés sur la réalité doucement dingue d'une vie villageoise, en conservant une rigoureuse cohérence. Cela, tout en variant le regard à la manière de subtiles anamorphoses, glissées à tous les niveaux.
Pierre-André Milhit, Itinéraires fourvoyés, Lausanne, BSN Press, 2022.
Le blog de Pierre-André Milhit (en sommeil), le site de BSN Press.
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