Catherine Gaillard-Sarron – L'écrivaine Catherine Gaillard-Sarron gâte ses lecteurs cet automne. Elle leur propose en effet pas moins de deux livres. J'ai évoqué hier son recueil de poésies "La ligne du temps". Simultanément, a paru son dernier recueil de nouvelles "L'écrivain aux mains rouges". Dans la droite ligne de ses nouvelles précédentes, ce recueil met en avant ces humains que nous sommes, et dont les caractères se frottent. Une ligne directrice pour ces six nouvelles? La culpabilité.
Cette culpabilité est assumée, voulue même dans la première nouvelle du recueil, celle qui lui donne son titre et qui est parfaitement résumée par l'image de couverture du livre. Il y a quelque chose de l'"acte surréaliste le plus simple" façon André Breton dans le geste voulu par Germain Ducommun pour connaître enfin le succès littéraire: tuer quelqu'un à coups de revolver.
Le choix du nom de ce personnage, un prof du secondaire dépourvu de profil, est un programme: il s'appelle Germain comme Saint-Germain-des-Prés, et Ducommun parce qu'il est un écrivain anonyme, aux idées parfaitement communes: pourquoi Nabilla et pas moi? Et pourquoi la justice trouve-t-elle des circonstances atténuantes aux prévenus?
Et le pire, c'est que ça marche: le livre de Germain Ducommun l'assassin devient un best-seller. L'auteure interroge ainsi ces hommes et ces femmes qui consomment des livres: et vous, achèteriez-vous l'ouvrage d'un criminel – mettons, euh, Merah ou Breivik? Et qu'est-ce qui motiverait votre achat? Coupable lecteur...
Il est possible de placer en parallèle les nouvelles "Le secret de Jonathan" et "Cas de conscience", qui fonctionnent toutes les deux sur le motif romanesque courant du secret de famille, maintenu jusqu'au seuil de la mort. Le lecteur peut relever que le titre "Le secret de Jonathan" peut être compris de deux manières: soit c'est un secret que Jonathan détient, soit c'est un secret dont il est l'objet. C'est ce deuxième sens qui est privilégié. En n'utilisant que des prénoms, l'auteure installe une ambiance de familiarité dans ces nouvelles de famille. "Cas de conscience" fonctionne sur l'hésitation d'un mourant: dire une ultime et terrible vérité ou non? Et elle résonne de manière glaçante. Savoir et souffrir, ou ignorer sur le mode "dormez, braves gens!"? L'auteure laisse le lecteur s'interroger.
Culpabilité encore dans "L'aurore aux doigts de glace". Ce n'est pas la première fois que l'écrivaine utilise le ressort de l'alcool au masculin pour irriguer, si j'ose dire, une nouvelle. Sur ce coup-là, le comble, c'est que la première personne coupable, celle qui tenait le volant, est justement celle qui n'a pas bu au réveillon... encore que: en installant une scène d'accident de voiture dont un enfant est la victime, elle promène son regard sur chacun des personnages concernés ou impliqués et fait sentir avec finesse que toutes et tous ont des raisons de se sentir coupables.
Et lorsqu'un couple rompt, il arrive que chacun dise que le coupable, c'est l'autre. Dans "Opéra Scission", l'auteure met en place deux personnages qui se sentent légitimes à se livrer à leurs loisirs. Sauf que faire des vocalises n'est guère compatible avec le fait de regarder "Des chiffres et des lettres". Construite en crescendo, mettant en scène un champion du jeu nommé Olivier (on pense à l'écrivain Olivier Chapuis, qui a bel et bien excellé à ce jeu télévisé: est-ce un clin d'œil amical?), cette nouvelle s'achève sur un festival de jeux de mots liés à la musique – point d'orgue du recueil, c'est le cas de le dire.
Quant à la nouvelle "Mitomania", c'est par la bande qu'elle aborde la notion de culpabilité: Edgar, celui qui plaque sa copine Lisbeth, doit-il se sentir coupable d'avoir largué une femme devenue folle à force de traquer des mites? Le lecteur pourra, lui, se sentir coupable de s'amuser aux méthodes utilisées par Lisbeth pour anéantir celles qui hantent son garde-manger.
Coupable, non coupable? Pas besoin du marteau du juge pour en décider. Souvent, on s'accuse soi-même, et il arrive que les autres vous enfoncent. C'est dans ces méandres que l'écrivaine, fine mouche, embarque son lectorat. Et comme lire, c'est participer, le lecteur, acteur pas forcément prévenu, prend aussi le risque d'être interpellé de temps à autre.
Catherine Gaillard-Sarron, L'écrivain aux mains rouges, Chamblon, Catherine Gaillard-Sarron, 2020.
Le site de Catherine Gaillard-Sarron.
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