Chris Barnhay – Une auteure rencontrée à une Fête du Livre de Saint-Etienne, en 2011 peut-être; la curiosité qui m'incite à acheter son livre. Et celui-ci a attendu neuf bonnes années sur ma pile à lire... Enfin, voilà que je viens de boucler ma lecture de "Ne jamais dire jamais" de Chris Barnhay. Un voyage porté par une narratrice devenue adulte trop tôt, mais qui finira par découvrir que le bonheur est aussi pour elle.
Obésité, boulimie: c'est sur ces bases peu avenantes que débute "Ne jamais dire jamais". Ce roman sensible et inspirant donne la parole à un personnage féminin, Aude, suivi depuis son enfance jusqu'à sa vie d'adulte. L'auteure fait œuvre de poète en dessinant les ressorts de l'obésité maladive de la narratrice: elle considère ce gras comme une muraille, une manière de mettre l'autre à distance – à telle enseigne que la narratrice va s'interdire l'amour.
Cela, pour combler un vide, celui laissé par une mère absente – par la bouffe, mais aussi par les livres, soit dit en passant. L'auteure illustre cette absence en partant de la scène banale d'une fin de journée à l'école. Et elle en donne la clé un peu plus tard dans le livre, comme s'il fallait un peu de temps pour que l'enfant comprenne. La clé? C'est l'alcoolisme, vécu au féminin.
Cet alcoolisme, personnage à part entière, prégnant surtout au début du livre, rend la mère un peu absente au lecteur aussi: tout au plus en aura-t-il les effets. Il y a ces tentatives de suicide auxquelles personne ne croit plus, mais aussi ce vase que la mère brise sur la tête d'Aude. Mais plus généralement, c'est une famille dysfonctionnelle que l'auteure décrit: cinq enfants, un père qui se contente d'assumer sa part, et la narratrice qui remplace sa mère, tenant le ménage à l'âge où les autres filles jouent à l'élastique ou aux garçons. Aude apparaît dès lors en totale dissonance entre une âme grandie trop vite et un corps qui ne suit pas, sans parler du vécu, parfaitement atypique.
Et puis une prise de conscience se fait, et la bascule se fait en page 44: "Une force intérieure était née". Poursuivant dans une écriture qui privilégie l'introspection, l'auteure décrit tout au long de la suite de son court roman le long parcours qui va faire de la narratrice une femme bien dans sa tête et dans son corps.
Non exempte d'obstacles, la démarche telle qu'elle est décrite apparaît réaliste. L'obésité de la narratrice est ainsi combattue davantage par un changement d'état d'esprit que par des régimes mirobolants; et l'écrivaine ne manque pas de souligner l'évolution des regards des autres, en particulier des hommes, sur un corps qui change – la narratrice y est-elle préparée? En tout cas, elle trouvera des alliés dans sa démarche. Enfin, il y a ce magnifique détour que la romancière propose: la narratrice parvient, par le dialogue, à libérer sa mère de l'alcoolisme. Magnifique par la générosité du geste, bien sûr, mais aussi, du point de vue narratif, parce qu'il libère la narratrice de toute distraction: l'ultime combat, le plus courageux, celui qui lui ouvrira les portes de l'amour et peut-être de la maternité, donc de ce qu'il a de plus beau, sera à livrer contre elle-même et elle seule.
"Ne jamais dire jamais" est un roman essentiellement introspectif, explorant avec une grande justesse un personnage féminin en devenir, parfois tenté par la victimisation mais qui sait qu'il y a peut-être quelque chose d'autre et qui s'y accroche. Partant d'un début déprimé, ce récit s'achève sur les flamboyances que permet la description de sentiments positifs, amoureux, qui balaient tout sur leur passage – et rappellent, alors qu'Aude est assise dans un avion qui l'emmène vers ailleurs, que la vie est un grand voyage.
Chris Barnhay, Ne jamais dire jamais, Paris, Les Editions Baudelaire, 2011.
Le site des éditions Baudelaire.
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