Marlène Mauris – Premier roman de l'écrivaine valaisanne Marlène Mauris, "Escarpées" porte bien son titre. Evocateur des années 1990, il relate la destinée d'une famille, d'un village, d'un microcosme niché dans une vallée du Vieux Pays. Venue de loin, la figure d'une jeune Française va éclairer ce monde "escarpé", justement, pas facile d'accès, d'une lumière nouvelle. Et tous les personnages de ce livre, Feodora incluse, s'en trouveront transformés.
Tout commence avec une scène fondatrice abrupte, celle de la mise à mort d'un chien que les trois filles de la famille d'Annette et Henri avaient fini par prendre en affection. Elles feront le deuil à leur manière – un deuil annonciateur d'un autre, d'une tout autre gravité. Puis vient la recherche d'un agneau, dont Henri, berger de profession, est responsable sans en être le propriétaire.
De ces scènes villageoises, on pourrait déduire que "Escarpées" est un simple roman régionaliste. Mais non: peu à peu, l'écrivaine dévoile l'existence rude, au quotidien, d'une famille fondée un peu à la hâte, porteuse entre autres de frustrations pour Annette même si elle a été sincèrement amoureuse d'Henri – un Henri beau gosse, mais qu'il faut gérer, bourru, porté sur la bouteille, peu à l'aise avec les mots et l'expression des sentiments. Cette montée en tension, marquée par l'ambiance parfois bagarreuse des bals de village, le lecteur la vit nettement jusqu'au suicide d'Annette.
Dans ce roman, l'altérité apparaît par deux biais. Il y a d'abord le tourisme, gage d'une vision superficielle d'un monde qui, depuis la vallée où se noue l'intrigue, paraît lointain même si les contacts sont indéniables, parfois un peu gênants à l'instar des photos "authentiques" prises à la sortie de la messe par certains touristes. Mais qu'en est-il lorsque cette altérité s'invite chez soi? C'est à Feodora, artiste en devenir, gouvernante pour une durée déterminée auprès d'un Henri veuf et de ses trois filles, qu'il incombera de jouer ce rôle.
La romancière a trouvé la bonne manière pour développer avec Feodora un personnage lumineux, malgré (ou peut-être justement grâce à) son penchant à faire des phrases qui contraste avec le monde pragmatique de la famille qui l'a engagée. Fonctionner ou vivre? La question fait l'objet d'une altercation entre l'institutrice de la plus jeune des filles d'Annette et Henri, Lucie, et Feodora.
L'écrivaine brille également par la représentation qu'elle donne des relations que Feodora construit, avec des hauts et des bas, avec les trois filles du foyer, chacune de tempéraments et d'âges différents. La plus âgée, Léonie, se sent par exemple naturellement proche de Feodora, alors que celle du milieu, Marion, aura tendance à provoquer et à se montrer protectrice envers sa petite sœur, Lucie, fière de ses lunettes: c'est le premier objet qu'elle porte et qui n'a pas appartenu à ses sœurs avant. Mais à l'école, on ne voit pas les choses ainsi...
Porté par un style maîtrisé qui rend justice avec finesse aux personnages et aux situations dans toute leur diversité, "Escarpées" se révèle un beau roman sur le choc d'humains confrontés concrètement aux altérités de tout poil et à la richesse que la rencontre peut apporter aux uns et aux autres. Cela, sans oublier la mise en scène réussie d'un contexte temporel spécifique, celui des années 1990: une époque où, même si la modernité arrive un peu partout, les mentalités ancestrales – porteuses d'un entre-soi et d'un esprit pratique qui n'a pas que des inconvénients – persistent.
A relever enfin les illustrations âpres de Pierre-Yves Gabioud. Tentant de rendre entre autres, en nuances monochromes, les nuances de paysages enneigés, elles pourraient être celles que l'artiste Feodora aurait créées.
Marlène Mauris, Escarpées, Lausanne, Favre, 2024, illustrations de Pierre-Yves Gabioud.
Le site des éditions Favre.
Ils l'ont également lu: Rebecca.
Un livre qui semble intéressant autant pour son contexte que ses personnages et la construction de leurs relations ! Le fait qu'il y ait des illustrations est un plus indéniable...
RépondreSupprimerBonjour Audrey! Oui, ce fut une belle découverte, et un premier roman qu'on sent travaillé en profondeur. C'est à découvrir, avec les illustrations aussi.
SupprimerBonne fin de semaine et joyeuses Pâques à toi!