Raphaël Guillet – Que des gens âgés et diminués décèdent dans un EMS, cela n'a rien de surprenant: nommés EHPAD en France, ce sont bien là, pour celles et ceux qui y sont logés, des résidences de fin de vie. Mais voilà: même dans ce contexte, des décès peuvent s'avérer inattendus, pour ne pas dire suspects. Tel est le point de départ du roman policier "Un arrière-goût amer", dernier opus de Raphaël Guillet et troisième roman à faire intervenir l'inspectrice lausannoise Alice Ginier.
"Un arrière-goût amer" se présente comme la rencontre de deux personnages, le coupable et l'enquêtrice, que l'auteur fait avancer l'une vers l'autre au fil de son intrigue, jusqu'à l'ultime confrontation. En contrepoint à la narration, il fait parler le coupable, comme une voix anonyme – qui l'est cependant de moins en moins, tant il est vrai que cette parole résonne avec la relation de l'histoire proprement dite. Le nom du coupable s'avère donc rapidement prévisible. Mais est-ce là l'essentiel de ce roman?
Pas nécessairement, même s'il est indéniable qu'il captive, comme il se doit pour un polar digne de ce nom. L'auteur balade son lecteur dans le monde pas toujours facile à vivre des établissements médico-sociaux et décrit une enquête brumeuse, marquée par les trous de mémoire légitimes de témoins ou de suspects potentiels plutôt âgés, souvent malades.
Certes peuplé de médecins cyniques et d'administratifs froids, ce monde a cependant aussi ses lumières: on pense à la tendresse avec laquelle l'auteur dépeint le personnage de Fortune Oumarou, aide-soignante africaine des plus sages, ou celui du Milord, un rastaquouère qui a su mettre un peu d'ambiance dans l'établissement durant ses vieux jours après avoir exercé mille métiers et vécu mille vies.
Enfin, c'est l'euthanasie active, c'est-à-dire l'assistance au suicide, qui se trouve au cœur de l'intrigue de "Un arrière-goût amer", avec les importantes questions éthiques qu'elle pose. Le lecteur se trouve en fin de roman face à un duel entre Alice, tenante de la légalité qui dit que l'assistance au suicide n'est pas forcément légale en Suisse (l'auteur évacue les organisations telles que Dignitas et Exit, et l'euthanasie devient ici une activité d'ordre privé et informel), et un coupable absolument certain d'avoir œuvré pour le meilleur en aidant celles et ceux qui le souhaitent à partir vers un monde qu'on dit meilleur. Face à ces deux légitimités irréconciliables, force est de relever que "Un arrière-goût amer" recourt au mode tragique pour poser une question de société des plus actuelles.
"Un arrière-goût amer" est donc un roman policier à deux points de vue qui s'empare d'un sujet de société dont on parle, l'euthanasie, pour en exposer les enjeux au fil d'une intrigue solide. D'une manière passionnante, l'auteur utilise la trame du roman policier pour faire passer quelques points de vue, avec sagesse, sans forcer le lecteur à opter pour l'un ou l'autre: conformément à l'esprit du tragique, tous sont a priori légitimes.
Raphaël Guillet, Un arrière-goût amer, Lausanne, Favre, 2024.
Le site des éditions Favre.
Lu par Philippe Poisson.
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