Frédéric Lamoth – Le temps passant, l'exercice n'a rien d'évident: replonger, en tant qu'écrivain, dans l'existence d'une femme qui, dans les années 1980, a pratiqué un psychiatre réputé mais non exempt de zones d'ombre. Et pourquoi pas se glisser dans sa peau? C'est là la teneur du dernier roman de Frédéric Lamoth, "L'Été d'une femme". Tout commence par un article de journal suspicieux, écrit par une certaine Solène M., auquel répond celle qui sera la narratrice du roman: la patiente.
L'auteur explore avant tout la manière dont ces deux femmes vont s'approcher, s'apprivoiser, se faire confiance. C'est aussi un choc des générations, marqué dès les premières pages par l'opposition entre deux conceptions de la nudité féminine: alors que la narratrice a trouvé normal, en traitement, de se déshabiller face au psy, la journaliste s'offusque. La nudité est-elle forcément sexuée? Pas pour la patiente qui se souvient. Mais d'un autre côté, affirme une journaliste promptement révoltée, prompte aussi peut-être à voir ce qu'elle veut bien voir, elle ne semble pas indispensable à un traitement des âmes... L'auteur laisse ces deux visions face à face, sans juger, les laissant également légitimes.
Quant à la narratrice, vieille dame au moment du récit (nous sommes en 2016), elle apparaît comme une mère de famille comme il y en a eu beaucoup en Suisse dans les années 1980, tenant son ménage, baladant les enfants au gré des obligations, tenant sa place comme son mari tient la sienne, forte d'un salaire bien suffisant pour deux, et même plus. Mais la narratrice y trouve-t-elle vraiment son compte, au-delà de la disparition de la pression liée au fait de gagner sa vie et de préserver son emploi? Et l'amour dans tout ça? Le fait est qu'un jour, elle n'a plus réussi à se lever. L'auteur recrée avec justesse la difficulté qu'il y avait à l'époque à diagnostiquer ce qu'on appelle aujourd'hui le burn-out ou la dépression nerveuse.
L'adresse de l'auteur réside dans la manière d'utiliser le psy controversé comme un McGuffin: jusqu'au bout, le lecteur, faussement flatté dans ses instincts voyeurs, va croire que la narratrice a été victime d'un abus terrible, d'un viol, que sais-je. Mais voilà: la vérité de ce roman est ailleurs, et elle est plus profonde. La narratrice – et le lecteur avec elle – finit ainsi par comprendre, au fil des rendez-vous auprès du médecin, que c'est surtout l'indifférence face à un sort mal compris, à un vécu qui tourne à vide et dans lequel elle ne trouve plus son compte mais que la société n'est alors pas prête à entendre, qui la meurtrit. Victime d'une emprise? Oui, mais pas celle qu'on croit.
Ces impressions, l'auteur les souligne en mettant à l'honneur, au gré d'exergues, les chansons à la mode dans les années 1980. Des titres comme "La vie par procuration", "Désenchantée" ou "Papa Chanteur" prennent dès lors une résonance originale au fil des pages de "L'Été d'une femme", un roman social court mais dense, qui explore avec justesse ce qui a pu se tramer derrière les façades belles et anonymes d'une Suisse apparemment heureuse. La narratrice, une nouvelle Madame Bovary broyée par son temps? Il est permis de le penser.
Frédéric Lamoth, L'Été d'une femme, Orbe, Bernard Campiche Editeur, 2024.
Le blog de Frédéric Lamoth, le site des éditions Bernard Campiche.
Il l'a aussi lu: Francis Richard.
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