José Seydoux – "Roman plus que féministe", intégrant dûment le point médian comme étendard de l'écriture inclusive, "LA" se présente comme un ouvrage inclassable, entre roman et texte de réflexions sur l'idéal féminin, que l'auteur appelle "LA femme". En une bonne centaine de pages, le lecteur découvre l'image qu'un homme se fait des femmes. Et derrière le narrateur, un certain Nicolas, on devine sans peine l'écrivain lui-même, qui a déjà abordé la question féminine dans plus d'un de ses ouvrages précédents.
"LA femme"? Le narrateur ouvre la porte au double sens d'une telle formulation. On le voit à la recherche d'un idéal du genre platonicien, d'une sorte d'Idée de la femme – les accidents, "féminité" incluse, étant le reflet tout personnel de sa vision du genre féminin. Mais si majuscules il y a, c'est aussi pour évoquer la note "la", qui donne le ton, entre autres, à tous les orchestres d'inspiration occidentale. Pour le narrateur, "LA femme" est donc source d'harmonie.
Et voilà: cet idéal n'appartient qu'à ce Nicolas du Pré qui se raconte au soir de sa vie. Comme aveuglé par cet idéal, il ne réussit cependant pas, et c'est tant pis pour l'ambition féministe de ce livre, à convaincre le lectorat de le suivre, jusqu'à envisager par exemple une société européenne convertie à un matriarcat mêlé de féminisme revanchard (on pense à Chloé Delaume qui, dans "Les Sorcières de la République", imagine une Académie française où seules seraient admises les femmes, dans un délai de rattrapage de trois ou quatre siècles), signifié par la surreprésentation subite des femmes aux lieux où tout se décide: parlements et gouvernements, directions d'entreprise, etc.
Le principe même d'un matriarcat, posé en point d'orgue de ce livre, mérite qu'on s'y arrête: doit-on l'envisager à la manière des Mosuos, qui tolèrent des hommes dont la condition n'est guère enviable (voir l'ouvrage "Le Royaume des femmes" de Ricardo Coler, fort instructif malgré des limites liées à une approche essentiellement journalistique), ou de Valerie Solanas, qui, selon son "SCUM Manifesto" (qu'il faudra que je lise entièrement un jour), n'aurait aucun scrupule à les dégommer pour que les femmes puissent enfin s'amuser entre elles? Le narrateur a d'un tel projet social une vision bien optimiste, difficile à suivre: rien ne démontre qu'une société résolument matriarcale sera meilleure qu'une société simplement égalitaire, faisant à chaque instant les efforts requis pour davantage d'équilibre (et là, le narrateur touche juste, posant plus d'une bonne question dans le contexte d'une Suisse qui a encore quelques progrès à faire en la matière), sans placer aucun sexe sur un piédestal qui isole.
Enfin, le lecteur pourra être dérouté par la forme même de la narration, qui n'a pas su ou voulu faire le choix entre la forme de l'essai, fouillé et travaillé dans le souci de rechercher, par une dialectique bien comprise et à l'écoute de textes et de paroles antérieurs, les bons arguments pour convaincre, et celle du roman qui, résolument, mettrait en scène, dans toute sa richesse, "une saga familiale sur un siècle": l'auteur avait suffisamment de matière et d'intuitions pour en raconter sur plusieurs centaines de pages.
Perdu entre les deux options, Nicolas du Pré, le narrateur, qu'on imagine issu d'une cité comme Gruyères, n'a pas toute l'épaisseur nécessaire pour devenir inoubliable dans l'esprit du lecteur. Quant à sa vision du monde et de LA femme, elle connaît aujourd'hui déjà quelques objections, auxquelles il aurait été intéressant qu'il trouve des réponses, en vue de faire avancer cet éternel et passionnant (a vivre, surtout!) défi qu'est la relation sans cesse à construire entre humains des deux sexes et de tous les genres.
José Seydoux, LA, Chavannes-de-Bogis, ISCA-Livres, 2024.
Le site de José Seydoux, celui des éditions ISCA.
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