Sandra Maeder – Cela ressemble à un huis clos: "Bitume d'août", premier roman de l'écrivaine et dramaturge suisse Sandra Maeder, met en scène un tout petit monde. Celui-ci se compose d'une mère et de son fils, 35 ans, partageant un salon sans fenêtres. Cela, sans oublier un poisson qui se meurt faute de nourriture... L'ambiance s'avère étouffante, comme le mois d'août durant lequel se passe l'histoire.
Histoire? Le mot n'est pas tout à fait exact. Le lecteur est en présence d'un face à face entre un fils qui ne veut plus que sa mère l'appelle Pierrot mais n'a rien d'autre à lui proposer comme nom, si ce n'est un "P..." peu sonore. Peu à peu, le lecteur comprendra de quoi il retourne: Pierrot n'est-il pas le fantôme de quelqu'un d'autre?
Le poisson combattant moribond constitue un fil rouge (comme le sang, tiens!) du roman: ce Pierrot qui refuse qu'on l'appelle ainsi se retrouve chargé d'aller lui acheter quelques chose à manger, mais il l'oublie tout le temps. Là encore, le combattant peut être vu comme l'héritier d'un autre poisson, mort à l'occasion d'un anniversaire. Car – oui – c'est d'un anniversaire qu'il s'agit. Triste anniversaire...
Le lecteur voit ainsi P... et sa mère mettre tout en place, attendre même des invités: on place une banderole brillante, on gonfle des ballons et l'on fait semblant de croire que les invités vont venir. Objet de "Bitume d'août", la journée d'anniversaire s'avère dérisoire, les ballons vont se dégonfler. A moins que les invités ne soient morts... et que l'un d'entre eux vive sur la lune, d'où il écrit des lettres à déchiffrer sur des pages apparemment blanches. L'auteure ose d'ailleurs montrer la ressemblance entre le bocal du poisson et le casque de l'astronaute.
"Bitume d'août" n'est certes pas un roman facile d'abord, malgré une structure bien conçue sur la base d'une introduction qui joue parfaitement son rôle d'exposition. Cela tient bien sûr au côté flou du monde mis en scène, troublé par des trous de mémoire qui occultent pour un temps la réalité, et par ce mois d'août torride où deux personnages humains et un poisson s'efforcent de survivre. Bien malin, enfin, qui saura dire ce qui se passe dans ce roman où les atmosphères, étouffantes, sont primordiales.
Celles-ci sont mises en place par une écriture chantournée qui privilégie les phrases courtes, sans verbe même. Celles-ci invitent à une lecture à haute voix pour en donner le vrai rythme, la scansion la plus authentique, au fil des pages. Plus que l'histoire, qui dévoile ses drames peu à peu, comme à grand-peine, pour dire des vérités difficiles, c'est donc à la beauté formelle des mots agencés que tient la spécificité de "Bitume d'août".
Sandra Maeder, Bitume d'août, Genève, Encre fraîche, 2024.
Le site des éditions Encre fraîche.
Ils l'ont lu aussi: Francis Richard.
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