Véronique Richez-Lerouge – Vous les avez remarqués, ces labels divers et variés, parfois contradictoires, qui ornent les produits alimentaires que vous achetez dans le commerce, voire auprès de grands distributeurs: vin, fromage, viande (surtout en Corse), sel (sel gemme issu de mines ou sel issu de l'évaporation de l'eau de mer? Bex, Guérande, Camargue?). Se présentant comme élue locale en France, femme de médias et de terroir, l'auteure Véronique Richez-Lerouge décrypte dans "Les labels pris en otage" ce qu'il y a derrière ces étiquettes. Plus particulièrement, elle expose les enjeux de l'immixtion des acteurs industriels de l'agro-alimentaire dans des distinctions censées protéger des produits traditionnels attachés à un terroir.
Tout débute avec une approche critique de labels courants lorsqu'il est question de produits alimentaires. L'auteure démonte ainsi la promesse du Zéro Résidu de Pesticides et interroge la valeur réelle de la "Haute Valeur Environnementale", qu'elle juge trop peu contraignante pour désigner des produits bio au sens fort. Dès le départ, le lecteur comprend que les acteurs industriels, poursuivant des objectifs de rendement, cherchent à assouplir les conditions liées à l'attribution d'un label afin d'en profiter. Cela, au détriment de l'authenticité, mais pas seulement. L'Inao, organisme de labellisation majeur en France, est également sur la sellette, par exemple lorsqu'il renonce, par souci d'efficience, à accorder leur AOP à des appellations petites mais qui méritent d'être défendues – on pense au caillé doux de Saint-Félicien.
Fondé sur l'expérience de l'auteure, qui s'est précédemment intéressée à ce domaine dans des ouvrages tels que "La vache qui pleure", "Les labels pris en otage" font la part belle au monde des fromages français. Qu'y a-t-il derrière l'image d'une France pays du fromage par excellence? Chapitre après chapitre, l'auteure décrit l'action des géants de la production laitière, tels que Lactalis et quelques autres, désireux de bénéficier d'appellations flatteuse (l'AOP par exemple – dont certains producteurs se détournent, lassés des compromissions) tout en poursuivant un objectif de standardisation qui va à l'encontre de l'ambition de préserver des usages "traditionnels, loyaux et constants" (p. 73) exigeants et spécifiques par nature – par exemple en privilégiant le lait pasteurisé par rapport au lait cru.
Sur la base des cas évoqués, aussi emblématiques que le camembert, dont l'auteure relate la bataille étape par étape, ou le roquefort, qui a littéralement repeint tout un village de l'Aveyron en vert sapin façon Société (une atteinte au paysage... et aux humains qui l'habitent!), l'auteure décrit la manière dont la grande industrie dénature voire fait disparaître un patrimoine fondé sur la richesse des saveurs. Qui peut penser que le roquefort ou le camembert qu'il achète est le plus souvent un produit signé Lactalis, Eurial ou Savencia? Il sera donc question des bactéries qui sont à la source de la couleur bleue du roquefort: alors que les artisans les cultivent sur du pain où le vivre-ensemble entre bactéries est la règle, les industriels privilégient une souche unique élevée en milieu stérile. Il sera aussi question des stratégies de marketing qu'utilisent les industriels pour faire croire que leurs produits sont artisanaux et ancestraux.
L'auteure aborde en passant les manières utilisées pour que les chèvres donnent du lait toute l'année afin d'effacer, en faveur du seul consommateur, la saisonnalités de certains produits – on l'a peut-être un peu oubliée. Proche du terrain, elle mentionne aussi les stratégies de certains petits producteurs locaux pour développer des produits hors AOP, jugeant inadéquat le cahier des charges qui y est lié. Si elle met en avant le domaine fromager, il est notoire que dans d'autres domaines aussi, en particulier le vin, certains producteurs ont choisi cette voie farouchement indépendante.
Il est bien entendu question de Bruxelles et de ses directives dans "Les labels pris en otage", et constamment du caractère difficilement conciliable d'une approche axée produit, celle des artisans sincères qui osent le goût, face à une approche orientée clientèle, dominante, aux ordres d'une grande distribution qui veut des produits pas chers et standardisés. Pour conclure son ouvrage, Véronique Richez-Lerouge donne quelques recommandations aux acteurs politiques concernés, visant à contenir l'impact des gros producteurs sur un de ces aspects qui fait qu'on aime tant la France: les saveurs de ses produits. Et vu de Suisse, apprendre la mainmise de gros producteurs industriels pourtant dûment labellisés sur tous ces savoureux produits du terroir a de quoi choquer...
Véronique Richez-Lerouge, Les labels pris en otage, Paris, Erick Bonnier, 2024.
Le site des éditions Erick Bonnier.
Merci pour cet article très intéressant ! Ce n'est pas vraiment mon genre de lecture, mais il est bien noté et a l'air complet sur le sujet qu'il aborde 😁.
RépondreSupprimerBonne semaine !
Bonjour Cha_choco! En effet, c'est très document et complet, avec cependant un point fort sur les fromages de France même si d'autres produits du terroir sont abordés. A découvrir, pour t'informer!
SupprimerBonne fin de semaine à toi et bonnes lectures!
Encore un livre qui va me mettre en colère... j'achète beaucoup de fromage, jamais en supermarché mais j'imagine que les pratiques abusives sont partout...
RépondreSupprimerBonjour Sandrine! En effet, l'auteure indique que certains fromagers, moins curieux ou passionnés que d'autres, proposent aussi des produits moins artisanaux qu'il n'y paraît.
SupprimerBonne fin de semaine à toi!