Marie Pezé – Signé Marie Pezé, l'ouvrage "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" a fait date dans le domaine de la psychologie du travail à sa sortie, en mettant des mots sur le malaise parfois terrible que vivent certaines personnes sur leur lieu de travail. Sans utiliser le mot de "toxicité", devenu à la mode depuis (ce livre date de 2008, et j'évoque sa version poche de 2010), l'auteure décrit quelques situations typiques qui pourraient être ainsi désignées.
Sa méthode? Psychologue clinicienne, initiatrice du réseau "Souffrance et Travail", l'auteure invite son lectorat à visiter son propre lieu de travail et à découvrir les conditions dans lesquelles elle exerce. On la balade d'un bureau à l'autre au gré des contraintes? Elle évoquera la difficulté que ses patients et elle-même auront à prendre pied dans un environnement aussi mouvant.
L'auteure dévoile aussi à son lectorat certaines de ses méthodes de travail. Il y a l'écoute des témoignages, l'observation des personnes aussi: un humain mal en point parce qu'il souffre au travail, ça se voit au moins autant que ça s'entend. Et au fil des récits, il est possible pour l'auteure de dégager les lignes de force de situations de harcèlement moral, voire d'en dresser une typologie.
Personne n'y échappe, cadre ou collaborateur; cela dit, l'auteure mentionne avec insistance les souffrances particulières que vivent les femmes dans le monde du salariat, qu'elle perçoit comme conçu par les hommes et pour les hommes, résultat d'un partage des tâches entre les genres qui reste traditionnel et qu'elle détaille.
Est-ce à blâmer? Non: l'auteure s'efforce de faire la part des choses, comprenant par exemple que les blagues grasses peuvent être une manière, pour les hommes au travail, de se défendre dans le contexte de professions intrinsèquement à risque. Mais, insiste-t-elle, ce n'est pas satisfaisant et peut favoriser des déviances éthiques auxquelles une nouvelle collaboratrice ou un nouveau collaborateur n'adhérera pas forcément. Ce qui place cette personne en porte à faux et la désigne comme cible de harcèlement.
Personne? Oui: le pilier majeur de "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" reste l'individu. C'est pourquoi cet ouvrage repose sur un certain nombre de témoignages authentiques et typiques qui permettent à l'auteure de mettre en évidence les mécanismes qui rendent un lieu de travail peu agréable, voire carrément détestable. Le rapport avec les semblables est évoqué bien sûr, mais il sera aussi question des outils de travail inhumains ou des restructurations difficiles à vivre.
Réciproquement, les témoignages mettent en avant les stratégies de défense physiques et mentales que les personnes concernées mettent en œuvre, ainsi que les réactions aux situations difficiles. Ces réactions s'avèrent pathologiques ou psychosomatiques; elles peuvent, on le sait, aller jusqu'au suicide. À la mécanique du travail répond ainsi la mécanique humaine, infiniment plus subtile, broyée par certaines situations de travail. Et l'administration n'aide pas toujours...
En faisant appel à des situations qu'elle a connues en consultation, l'auteure donne un visage humain à "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés". Elle suscite ainsi de l'empathie chez le lecteur – empathie envers les personnes évoquées, mais aussi, par ricochet, envers un thème qui concerne tout un chacun et qu'il n'est pas toujours facile d'aborder.
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Paris, Flammarion, 2010.
Le site des éditions Flammarion, celui du réseau Souffrance et Travail.
Lu par Gaëtane, Jean-Noël Amato, Ombres blanches, Verbiage.
Bonjour Daniel,
RépondreSupprimerJ'espère que tu vas bien ! Je ne sais pas si tu as vu, mais après les minorités ethniques, je propose sur 2024 de lire autour du "Monde ouvrier et des Mondes du travail". Autant te dire que ton billet est parfait pour figurer dans le récap de l'activité (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-le-monde-ouvrier-les-mondes-du.html).
Aussi, si tu le permets, je pique ton lien !
Bon dimanche.
Bonjour Ingrid, merci pour ton commentaire et pour l'intérêt que tu portes à ce billet! Bien sûr, pas de problème pour le récupérer dans ton récapitulatif de l'activité sur le monde du travail.
SupprimerBonne semaine à toi!