Heinrich Heine – D'un certain point de vue, "Nuits florentines", court roman de l'écrivain allemand Heinrich Heine, rappelle les "Contes des mille et une nuits" vus à l'envers. En effet, c'est ici un jeune homme, Maximilien, qui parle à sa bien-aimée pour tenter, effort dérisoire, de sauver la vie de celle-ci, malade de la peste. Comme quoi raconter des histoires est un acte généreux! Sans oublier que le lecteur, du coup, se retrouve avec plusieurs récits pour le prix d'un.
Responsable de cette édition du livre, la femme de lettres Diane Meur rappelle le caractère métaphoriquement politique de cette peste dont Maria est atteinte: cela pourrait être le régime politique allemand d'alors, plutôt rigide. Une impression renforcée par le fait que Heine, censuré à plus d'une reprise, a été sommé par son éditeur d'écrire des ouvrages plus consensuels, "inoffensifs". Voilà qui lorgne vers Albert Camus, à un siècle de distance environ...
D'emblée, le lecteur retrouve dans "Nuits florentines" les tropismes favoris du romantisme. Cela commence avec cette fascination pour la maladie et la mort, portée par le personnage d'un Maximilien amoureux d'une malade, Maria. Ce n'est pas la première fois: il assume d'être tombé amoureux de femmes mortes, d'aimer embrasser des statues surtout si elles sont en ruine (ces ruines qui sont la mort des bâtiments et des œuvres, et qui séduisent aussi les romantiques de leur temps), alors que les peintures le laissent de marbre. Est-il un brin pervers? Il est permis de l'imaginer: le lecteur ignore les origines de son lien avec Maria.
Enfin, l'écrivain entrelace ce motif de la mort avec celui du sommeil. Il y a certes quelque chose d'onirique dans ce roman qui s'inscrit entre veille et sommeil. Mais de façon plus immédiate et radicale, il y a la réplique de ce médecin pressé et énigmatique, peut-être juste là pour rythmer le récit: "Ce sommeil, poursuivit le docteur, prête déjà à son visage le caractère de la mort. (...)" (p. 72). Un classique qui remonte à Homère: "Le sommeil est le frère jumeau de la mort", trouve-t-on, et plus d'un texte religieux l'a relayé. Relevons au passage que Maximilien a justement un tempérament mystique!
Reste que la vie a aussi sa place dans ce roman, en coexistence avec la mort. Cela passe par l'évocation des musiciens du temps de l'écrivain. Côté mode, l'auteur évoque Bellini, mort en 1835 soit au moment de l'écriture des "Nuits florentines", en des mots laudatifs qui s'étendent à sa patrie: l'Italie est présentée comme le pays des musiciens par excellence, bien plus que la nation allemande. Quant à la virtuosité des Paganini et des Liszt, le personnage de Maximilien les associe volontiers au diable, avec lequel ils auraient passé un pacte.
Voyages? Même ce thème romantique, impulsé par l'émergence du tourisme au dix-neuvième siècle, n'est pas étranger à ce livre. Ainsi, Maximilien ne manque jamais, dans ses récits, d'évoquer en détail les mœurs de tel ou tel pays. Il aura donc été question d'Italie, on l'a vu, et il est permis de penser à Stendhal ou à la "Symphonie italienne", la quatrième de Felix Mendelssohn-Bartholdy; mais il est aussi question des Anglais, des Français et même des Allemands dans ce livre.
Quant au thème romantique prégnant de la nuit, celui des "nocturnes" en musique, celui aussi de la porte ouverte sur l'étrange, il s'avère omniprésent: les histoires relatées le sont toujours de nuit, et celle à laquelle elles sont destinées oscille constamment entre la veille et le sommeil. Lentement développées, les histoires que raconte Maximilien, rappels de concerts, de voyages ou de balades nocturnes en forêt, ne sont donc pas un prétexte à dialoguer: il est dès lors permis de penser qu'il parle aussi à lui-même, ou alors à un lectorat à l'attention plus soutenue que celle de sa bien-aimée Maria. Et c'est ainsi que ce propos touche celui qui ouvre ce livre et s'y laisse prendre.
Heinrich Heine, Nuits florentines, Prilly, Presses Inverses, 2024. Texte traduit, présenté et annoté par Diane Meur.
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