Francis Schull – Tout commence avec la narration du crime, dûment circonstanciée à un détail près: le personnage qui tue n'est qu'une silhouette au volant d'une voiture, alors que la victime, le bel Albert, cuve à la place du mort. Qui se cache derrière cette silhouette? Telle est la question posée par "Meurtre aux petits oignons", la deuxième enquête de la postière alsacienne Léopoldine Piquavoine.
D'emblée, on s'amuse de ce personnage de quinquagénaire qui n'a pas sa langue dans sa poche. A Agatha Christie, elle doit un profil qu'on peut associer à Miss Marple en plus jeune et en tout aussi célibataire, mais aussi un usage efficace de ses petites cellules grises, chères à Hercule Poirot. Le lecteur se délecte de son caractère bien trempé, qui inclut aussi un style de conduite automobile très personnel. Et se demandera si elle ne pourrait pas entrer en politique communale un jour... ce que le roman ne dit pas. Affaire à suivre?
De manière assez classique si l'on pense à l'histoire du polar, l'auteur fait travailler Léopoldine avec deux gendarmes pas forcément futés, en particulier Schmitterling, dit Schmitty, dit "L'Andouille", dit "Oliver Hardy", qui navrera (mais avec le sourire!) le lecteur le plus patient. Avec lui, Loiseau, son subordonné, dit "Stan Laurel", semble prometteur mais trouvera le moyen de se planter. Et en face, d'improbables suspects: très vite, on distingue que la victime est un coureur de jupons qui a toujours aimé piquer les copines de ses petits camarades de classe. De quoi susciter des envies de vengeance très masculines!
L'humour est omniprésent dans ce roman policier un peu fou, aux raccords parfois imparfaits (Loiseau est-il présent ou absent lors du premier rapport à la hiérarchie policière?), qui met au jour les rognes des uns et des autres pour interpeller le lecteur sur les siennes. L'auteur fait feu de tout bois: il y aura des quiproquos et des incompréhensions, des moments où le lecteur sera directement interpellé ou invité à visiter un peu les coulisses de la narration: faut-il transcrire l'accent des personnages, et jusqu'à quel point est-ce supportable? Au travers d'un lointain cousin américain de Léopoldine Piquavoine, la question est posée. Enfin, l'auteur surjoue les consonances germaniques associées au cru en inventant des noms de localités aussi crédibles qu'improbables, assemblant par exemple des morceaux de Zimmersheim, Obernai et Riquewihr pour recréer Oberwirheim, lieu où Léopoldine Piquavoine travaille.
Mais s'il y a bien un motif omniprésent dans "Meurtre aux petits oignons", c'est bien celui des plaisirs de la table sous toutes leurs formes, et Dieu sait qu'il y en a en Alsace. Si c'est à la mythique Auberge de l'Ill que se noue le drame (il y a des étoiles au Michelin en jeu, c'est dire...), c'est bien autour de choucroutes garnies ou de carpes farcies que l'enquête avance. Cela, sans oublier le crémant, le riesling ou les alcools blancs qui agitent les esprits. Déclinée à maintes reprises au fil du récit, la triplette de l'accueil est du reste sympa, dite en alsacien: "Schmutzala – Brédala – Schnapsala", soit "petits bisous – petits gâteaux – petit schnaps".
Porté par une écriture amusée et alerte, assumant jusqu'à la scène finale ce qu'il doit à Agatha Christie, "Meurtre aux petits oignons" constitue la suite d'une première aventure de Léopoldine Piquavoine, "Vengeances tardives". Si les références à ce premier opus sont nombreuses dans le deuxième, rien n'entrave une lecture isolée de "Meurtre aux petits oignons". Et quelques portes restent ouvertes, laissant entendre l'avènement d'un tome trois. Reste que l'auteur réussit, au fil de pages aussi généreuses qu'une bonne choucroute garnie, à recréer une planète Alsace littéraire en jonglant adroitement, sans trop se prendre au sérieux, avec des stéréotypes du cru favorables à la création d'une connivence avec le lecteur, ainsi qu'avec les caractères de ses personnages.
Francis Schull, Meurtre aux petits oignons, Bernay, City Editions, 2021.
Le site de City Editions.
Lu par Coco, Des plumes et des livres, Follow The Reader, Ka-Light, Saveur littéraire.
Merci de cette bienveillante recension. Evidemment ravi que vous ayez apprécié "Meurtre aux petits oignons." Pour info, Léopoldine a récemment récidivi dans "Z'avez pas vu Zhang ?". Et elle est en recherche d'éditeur pour une quatrième aventure. A vous lire. F. Schull
RépondreSupprimerMerci de votre message, et aussi pour les heures de lecture avec Léopoldine! Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos projets littéraire, et aurai plaisir à lire d'autres ouvrages de votre cru. Bonne journée à vous!
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