Guillaume Pitron – Eoliennes, batteries au lithium, abandon des énergies fossiles: tout le monde parle de transition énergétique, mais qu'en est-il vraiment? Quel est le coût de ce virage sans précédent dans l'histoire de l'humanité? Les coulisses des promesses fantastiques de la technologie de demain, décarbonée et "propre", peuvent s'avérer sensibles, à la fois polluantes et porteuses d'une redistribution radicale des équilibres géopolitiques. Tout cela, le journaliste Guillaume Pitron l'explique en détail dans une enquête fouillée et rigoureuse: "La guerre des métaux rares". Signalons en passant que ce livre bénéficie d'une préface courte et oubliable signée Hubert Védrine, et voyons ce qu'il a vraiment dans le ventre.
L'auteur est certes conscient des promesses formidables d'un monde enfin sorti des énergies fossiles. Nous en goûtons déjà certains éléments: téléphones portables, voitures électriques, Internet, communication accélérée par la numérisation de l'information. Mais tout cela a un prix. Et celui-ci, selon l'auteur, se négocie autour de cet élément clé que sont les métaux rares, moteurs de toute une technologie dont le monde d'aujourd'hui, occidental en particulier, est devenu dépendant.
Métaux et terres rares? N'importe quel connaisseur du tableau des éléments de Mendeleïev comprend immédiatement de quoi il s'agit: ce sont ces éléments aux noms aussi beaux et étranges que "gadolinium", "gallium" ou "ytterbium", qu'on trouve en proportions infimes dans la masse terrestre et qui disposent, chacun à leur manière, des propriétés utiles pour faire fonctionner toutes sortes d'appareils. On pense au magnétisme comme à la conductivité. Devenus indispensables dans notre société de l'information, ces métaux rares exigent d'importants efforts d'extraction. Et voilà que l'auteur amène son lectorat dans des mines de Chine, pour montrer que la société décarbonée d'ici externalise en fait sa pollution dans des pays moins riches. En apparence du moins...
(soit dit en passant, ce thème de la délocalisation de la pollution est abordé dans le roman "La Désobéissante" de Jennifer Murzeau.)
Se fondant sur le rappel de choix politiques pas forcément optimaux, l'auteur, en effet, dessine aussi les tendances qui sont à l'œuvre et donnent le beau rôle aux pays producteurs de ces fameux métaux et terres rares: non contents de jouer le rôle de fournisseurs serviles, ils ont appris à les transformer eux-mêmes. L'auteur indique dès lors qu'en la matière, ce sont des nations comme la Chine ou le Chili, sans parler d'un discret mais prospère royaume d'Afrique australe, qui tiennent le couteau par le manche dans le contexte de la révolution numérique en cours, et décrit une mécanique de long terme où les pays occidentaux, dits "riches", ont concouru à leur propre affaiblissement au profit des nations émergentes, devenues conscientes de leur propre richesse. Soit dit en passant, le journaliste reconnaît à Donald Trump d'avoir su mettre en œuvre des stratégies pérennisant l'approvisionnement des Etats-Unis en métaux rares.
Et l'Europe? Il y a du lithium au Portugal, comment en profiter et à quel prix? Pour les batteries d'automobiles et d'autres appareils, ça peut servir... Faut-il rouvrir des mines en France, ne serait-ce qu'à des fins pédagogiques, afin que chacun comprenne ce que cela implique d'avoir un portable entre ses mains ou une Tesla derrière son volant?
Dans un style accessible voire accrocheur, Guillaume Pitron décrit dans "La guerre des métaux rares" une humanité qui creuse de plus en plus profond dans la terre pour bénéficier de performances toujours meilleures, quitte à ce que certains doivent s'empoisonner pour que d'autres vivent mieux. Il pose aussi la question de la rentabilité de l'exercice. Enfin, il interroge les promesses (décevantes pour l'heure) du recyclage et de la substituabilité de certains de ces matériaux rares. Solidement documentée, complétée par de copieuses annexes, nourrie enfin de témoignages personnels exclusifs, cette enquête entre en résonance avec "L'Age des low-tech" de Philippe Bihouix: sans appeler aux interdictions et aux rationnements comme certains écologistes radicaux actuels (vous savez, ceux qui veulent vous interdire l'avion ou la viande, boucs émissaires idéaux...), elle appelle de ses vœux la recherche de la meilleure manière d'évoluer dans un monde de ressources qu'on découvre finies.
Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, Paris, Les liens qui libèrent, 2019. Préface d'Hubert Védrine.
Le site de Guillaume Pitron, celui des éditions Les Liens qui libèrent.
Egalement lu par Les liaisons livresques, Raphaël Goblet, Thibault Briera.
Faut-il creuser à la recherche des (dernières?) ressources dans le sous-sol de nos pays occidentaux? Spolier les pays en voie de développement de leurs propres ressources, en se souciant peu de la pollution ou des droits des peuples chez eux, et uniquement du produit purement financier?
RépondreSupprimerQuelle est la bonne voie, à part la décroissance... associée impérativement à la dépopulation?
Je crains fort que l'humanité soit capable de s'unir uniquement si, un jour, nous sommes soumis à une menace extraterrestre... Et ce n'est (peut-être?) pas demain la veille.
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour Tadloiducine, merci pour ton commentaire!
SupprimerLes questions que tu poses trouvent en partie leur réponse dans ce livre. En particulier, cette fois, les pays producteurs de matières premières ne se laissent plus spolier sans rien faire – l'auteur prend l'exemple de la Chine pour indiquer cette tendance.
Bonne soirée, joyeux Noël et bon dimanche à toi!