Véronique Emmenegger – "Vénus partielle" résonne comme le récit d'une vie qui veut aller toujours plus vite, toujours plus fort et toujours plus loin. L'écrivaine Véronique Emmenegger y met en scène une fille, devenue jeune fille, qui n'a qu'une hâte: tâter du sport sous toutes ses formes. De préférence comme les garçons, mais en rêvant quand même de devenir majorette. Recueil de souvenirs? C'est un peu ça, et ils seront tantôt "glissants", tantôt "avilissants".
Lecteur est immédiatement happé par le dynamisme presque hyperactif de l'écriture, reflet de la personnalité de la narratrice, cette Elena italo-russe qui cherche constamment à déverser son trop-plein d'énergie dans le sport sous toutes ses formes et, après coup, partage ses impressions et émotions sans filtre. Le caractère d'Elena est présent à chaque ligne de ce court ouvrage, percutant et rapide, mais riche également, à la façon d'un roman en miniature.
"Garçon manqué", dira-t-on d'elle. C'est que dans son enfance, l'appétence d'Elena pour les sports défie les limites du genre: il n'y a pas de sports de fille ou de garçon pour elle. Elle rêve ainsi d'un vélo de course pour garçons avec une barre, mais n'aura qu'un vélo pliant, certes plus pratique à caser dans la DS familiale, mais pour une ivresse moindre. Et elle ne recule pas devant les sports considérés comme masculins: le football (l'enfance d'Elena a eu lieu au siècle dernier), voire la boxe. La danse? Plutôt pas, si ce n'est peut-être parce que le moniteur est beau et suscite quelques sensations, quelque part au niveau du ventre.
Certes incapable de se fixer, Elena s'avère impliquée de façon passionnée, pour le meilleur ou pour le pire, dans tous les sports qu'elle pratique. On la découvre fanatique de vitesse grâce au ski, mais dépourvue d'appétence pour la compétition ou la discipline excessive.
Cela, sans compter ce qui entoure l'exercice, et qui relève aussi de la découverte des corps. Celui de la narratrice bien sûr, qui se découvre pudique au moment des douches, mais aussi celui des autres (voyeurisme inclus, passif mais aussi actif). "Récit de ma sueur" est ainsi le deuxième titre de ce livre; cette sueur, le lecteur la découvre multiple et diverse, effet de l'effort qui mouille tel maillot que la narratrice ne veut surtout pas laver.
Quant à la deuxième partie, plus courte et consacrée à l'adolescence de la narratrice, elle part de ce rapport au corps en évolution pour évoquer la dimension fortement érotique que peut revêtir la pratique sportive: "Le sport est une sexualité comme les autres", dit-elle. Il sera dès lors question d'un moniteur de patin à glace émouvant, quitte à susciter de la jalousie, ou des baisers au goût de grenadine après un match de baby-foot intensif (la sueur, encore!) que la narratrice a disputé en mixte, son décolleté bâillant sous le nez de son adversaire, un garçon plutôt pas mal.
Ancré en Suisse même si ce n'est jamais expressément dit (mais on repère les marques de produits et les helvétismes), "Vénus partielle" fait ainsi partie de ces fulgurances littéraires intenses et franches que l'on aime pour leurs saveurs fortes. Percutant, ce petit livre dévoile une passion et montre que le sport, en fait, c'est plus que du sport.
Véronique Emmenegger, Vénus partielle, Lausanne, BSN Press, 2023.
Le site de Véronique Emmenegger, celui des éditions BSN Press.
Lu également par Francis Richard.
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