Alain Corbellari – "Dante & Co": voilà un de ces délices bourrés d'humour que le lecteur aime trouver sous ses yeux avides. L'ouvrage est bref, il se compose de trois parties bien définies. Et il saura divertir les lecteurs les plus érudits. En particulier, ceux qui ont usé leurs jeans dans les facultés de lettres, section littérature française, auront plus d'une occasion de rigoler en tournant les pages de ce livre, signé Alain Corbellari, professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel, en Suisse.
Tout commence, comme le titre l'indique, avec le bon vieux Dante et "La Divine comédie". Dans un génie qui ferait pâlir un champion de Scrabble, l'écrivain s'adonne à l'exercice des anagrammes autour du titre de l'ouvrage fondateur de la littérature italienne. Sait-on par exemple qu'en une anagramme parfaite, "La Divine Comédie" donne "Didon aime le vice"? De tels jeux de mots, l'auteur, jongleur magistral, en crée à l'envi. Le biais téléologique apparaît en option: si Dante n'est plus là pour s'expliquer, l'auteur ne se gêne pas pour poser ses hypothèses.
Dans la deuxième partie, "Petite histoire de la littérature de la Renaissance", l'écrivain endosse l'hérédité de Pierre Desproges pour évoquer, de façon ludique et amusante, les écrivains d'antan. De manière assez immédiate, on admet que Montaigne, auteur du Sud-Ouest de la France, est l'ancêtre du rugby avec ses "Essais" admirablement transformés. Gageons par ailleurs que l'auteur s'est souvenu de ses propres blagues de potache lorsqu'il a écrit des choses comme "Heureux qui communique" ou "Heureux qui communiste" pour évoquer Joachim du Bellay – d'autres ont osé avant lui, en particulier Jacques Salomé et Jean-Louis Gouraut. Plus ou moins longuement amenés, les jeux de mots de cette partie font mouche et proposent, dans l'esprit de l'Oulipo, une lecture alternative, délicieuse parce que non raisonnée, de l'histoire littéraire d'expression française.
La dernière partie de ce livre, enfin, est aussi la plus sobre puisqu'elle se contente de présenter au lecteur, page à page, un nom d'écrivain et le titre d'un livre, anagrammes d'un auteur et d'un bouquin bien réels. Cela, dans un esprit encore une fois amusé: qui aurait pu penser qu'un ouvrage très sérieux se cache derrière l'étrange énoncé "Armand Râleux, Tino dimanche au loin"? L'auteur défie ici l'érudition d'un lectorat qui connaît ses classiques: les surprises sont souvent au rendez-vous au moment où il livre ses solutions.
Bel exemple de littérature potentielle, érudit et malin à la façon des Grands Rhétoriqueurs comme de l'Oulipo d'aujourd'hui (elle n'est pas morte avec les Queneau et les Perec!), "Dante & Co" s'attache à révéler, dans un esprit humoristique et joueur solidement fondé, les sens cachés des littératures écritures il y a si longtemps. On s'amuse certes, on s'instruit, et l'on peut même imaginer, au fil des pages, les questionnements d'une recherche littéraire et historique marquée par le doute nécessaire.
Mais, on le sait, les meilleurs ouvrages humoristiques sont ceux qui font réfléchir. Et là, une question subsistera chez plus d'un lecteur lorsqu'il refermera ce livre: les écrits d'hier sont-ils encore en mesure de parler aux humains d'aujourd'hui, et d'en être bien compris?
Alain Corbellari, Dante & Co, Prilly, Presses Inverses, 2023.
Le site des éditions Presses Inverses.
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