Christopher Priest – Où sommes-nous? Sur Terre ou ailleurs? Jusqu'au bout de son roman "Le monde inverti", l'écrivain Christopher Priest entretient le doute. Il embarque son lecteur dans une cité qui se déplace sur des rails, à la suite de Helward Mann, jeune apprenti pionnier. Ce livre de science-fiction reste dans les mémoires en raison de son incipit fameux: "J'avais atteint l'âge de mille kilomètres", qui installe de manière saisissante le monde étrange dans lequel le lecteur va être plongé.
Un âge en kilomètres? Le lecteur le comprend peu à peu, ces kilomètres correspondent à la distance parcourue par la cité sur des rails qu'on démonte et remonte au fur et à mesure de l'avancement de la cité en direction d'un hypothétique optimum. L'exercice paraît absurde en début de roman: l'auteur choisit en effet de donner une explication à ce concept d'optimum assez tard dans la narration. Quant à la distance, le temps pour la parcourir, fluctuant, donne une estimation du temps qui passe. Le lecteur peut ainsi, à l'aide d'indices, donner un âge approximatif au personnage principal: il sera post-adolescent, voire jeune adulte.
Quant aux lieux, il est permis de se demander sur quelle planète on se trouve. Certes, la cité mouvante s'appelle Terre. Mais la planète où elle se trouve est-elle notre bonne vieille terre ou une autre? Les personnages se chargeront de découvrir la vérité; en attendant, le lecteur demeure dans le doute. Avec son soleil oblong, la planète n'est-elle pas autre que la nôtre? Mais tout cela n'est-il pas qu'une illusion d'optique, voire le fruit d'une perception personnelle, comme peut l'être tout ce qui se passe dans ce roman tout en illusions spatio-temporelles, où il n'est pas évident de déceler le vrai du faux?
Soulignées encore par les allers et retours entre la narration à la première ou à la troisième personne, ces anamorphoses sont ce qui émerveille particulièrement dans ce roman. Le lecteur ne va cependant pas se perdre totalement dans cet univers. En effet, ses personnages évoluent dans le contexte d'une société de science-fiction plutôt classique, sérieuse et structurée selon une rigidité quasi militaire, avec ses serments, ses hiérarchies et ses guildes qui sont autant de corps de métier – presque des corps d'armée.
Peu à peu enfin, l'auteur dessine une société à plusieurs vitesses, conservatrice voire sclérosée, peu éprise de justice mine de rien: l'égalité entre hommes et femmes n'est pas acquise, et la population de la cité mouvante n'hésite pas à faire appel à des mères porteuses vivant misérablement en dehors de celle-ci pour assurer sa descendance, les femmes y étant rares. On sera surpris aussi, dans un tel roman de science-fiction, de vivre dans un univers low-tech où l'on se déplace à cheval – ce qui colle, et c'est pittoresque à la manière d'un western, avec les décors désolés de ce "monde inverti". Rare concession à la grande modernité: il y sera question, d'énergie nucléaire. Encore un thème porteur aujourd'hui encore, mais déjà au temps où le roman a paru, soit en 1974.
Visionnaire à plus d'un titre, reflet peut-être d'un monde occidental du vingtième siècle qui part à la dérive, "Le monde inverti" ne cède guère de place à l'humour. Il s'agit avant tout d'un roman à l'action lente et intrigante qui parle de rapports humains pas toujours évidents, mis en contexte dans un milieu qui n'a rien d'amène et qui, habilement décrit, suscite de nombreuses questions dans l'esprit du lecteur. De quoi le faire avancer dans sa lecture!
Christopher Priest, Le monde inverti, Paris, Gallimard/Folio, 2002. Traduit de l'anglais par Bruno Martin.
Le site de Christopher Priest, celui des éditions Gallimard.
Lu par A livre ouvert, Bandana Geekette, Brize, Croque les mots, Eden Turbide, Efelle, Elizabeth Bennet, Erwelyn, FK, GiZeus, Hugues, Lorhkan, Lyra Sullyvan, Maëlle, Marcelline, Mon coin lectures, Nicolas, Nicolas Winter, Petites Archives, Pitivier, Richard Lecastor, S427, Vance, Victor Montag.
Je lis peu de SF mais Christopher Priest est l'un des auteurs phares du genre et il me semble que Le monde inverti est l'une de ses oeuvres majeures
RépondreSupprimerBonjour à toi!
SupprimerIl m'arrive de lire de la SF à l'occasion, et celui-ci est effectivement magistral, très littéraire. A découvrir!
Bonne journée à toi!
Quelle coïncidence ! J'avais prévu de lire ce livre cette année (il ne me reste plus beaucoup de temps pour m'y mettre^^), et je suis ravie de voir que c'est un bon choix. Je n'ai lu qu'un roman de cet auteur (Le prestige) et j'en garde encore un souvenir fort.
RépondreSupprimerSalut! Merci de ton commentaire!
SupprimerEn effet, c'est une lecture qui vaut la peine, aussi pour la manière de raconter et de construire l'histoire, qui ne manque pas d'étonner - a fortiori en science-fiction.
Bonne fin de semaine à toi, et bonne découverte!
Bonjour fattorius
RépondreSupprimerJe note ce "Christopher Priest", dont pour le moment je n'ai lu que "La machine à explorer l'espace" (suite d'H. G. Wells). merci!
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour Tadloiducine, merci de ton passage par ici! C'est mon premier Christopher Priest, et c'est recommandable! Je pourrais revenir à cet auteur.
SupprimerBonne fin de semaine!
Je n'ai aucune appétence pour la SF : ne pas savoir ni où on est, ni situé dans le temps, bref pas pour moi.
RépondreSupprimerBonjour Thaïs! En effet, on ne sait pas trop où l'on est dans ce roman, et l'époque doit être le vingt-troisième siècle. Mais on se trouve vite à l'aise, d'une certaine manière, dans le contexte décrit. Merci d'être passée et bonne fin de semaine à toi!
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