mardi 3 octobre 2023

Sept nouvelles entre deux âges

Guillaume Juillet – Président des éditions Abribus à Saint-Etienne, écrivain désormais plus connu sous le nom de Gulzar P. Joby, Guillaume Juillet a écrit dans les années 2002 et 2003 les sept nouvelles qui composent l'attachant recueil "Trop lire Simenon", tiré à cent exemplaires en 2003. 

Ont-elles un lien entre elles, ces nouvelles? Le lecteur peu attentif pourrait le penser. Mais il y a quand même quelques constantes qui confèrent à ce tout petit livre une unité manifeste. Tout d'abord, les personnages sont de parfaits anonymes d'aujourd'hui, petits gagnants ou petites victimes de leur temps, que l'auteur nomme juste parce qu'il le faut bien. Ils évoluent autour de Saint-Etienne, le plus souvent. 

Et surtout, l'écrivain les saisit le plus souvent alors qu'ils sont quelque part entre deux âges. Henri, le mécano qui a gardé sa chambre chez ses parents, semble ainsi encore enfant avec ses posters et sa vie de chômeur dépendant des uns et des autres; une rencontre avec une artiste bien dans ses baskets va le faire basculer, dans un esprit optimiste, dans l'âge où l'on ne joue plus au flipper. 

Dans "Fragile comme le verre", le lecteur découvre Georges, un trisomique condamné à être un enfant toute sa vie et voit évoluer son grand frère, de la jalousie radicale à l'acceptation. Et dans "Derniers mois", ce n'est qu'en fin de nouvelle, grâce à un retournement de situation simple mais efficace, qu'on découvre que la femme qui tient à acheter elle-même ses tampons hygiéniques n'est pas une jouvencelle qui a bien vécu ses premières règles, mais bien une vieille dame qui approche de la nonantaine, prisonnière de son EHPAD et de ses souvenirs.

Ce jeu sur les générations fonctionne également dans la nouvelle "Moderniser la France", d'une autre manière: dans les années Mitterrand, des villageois souhaitent voir l'ordinateur que l'instituteur a reçu pour effectuer son travail d'enseignant. Derrière le côté presque farcesque de la chose (la nouvelle se dénoue par la fourniture d'une table de boucherie usagée pour que l'instituteur puisse y installer l'appareil), le lecteur est en présence de trois générations: les ruraux, qu'on peut imaginer aînés mais toujours désireux de se tenir au courant, les écoliers qui ont tout à apprendre, et l'instituteur qui joue le rôle de passeur intergénérationnel. L'auteur relève que c'est du vécu: l'anecdote lui vient d'Henri Merle, écrivain stéphanois décédé en 2022.

Et qu'en est-il de la nouvelle éponyme? "Trop lire Simenon" illustre ce penchant qu'on peut avoir, surtout lorsqu'on est enfant, à confondre un peu la vie des livres et celle vécue au quotidien. C'est avec talent que l'écrivain y met en scène un bonhomme bien adulte, propriétaire d'une Jaguar et qui, presque sur une tocade née d'une lecture fortuite de Simenon, se met à mener l'enquête sur une jeune femme sans histoire, Amandine Pontier – et finit par lui en dessiner une, à force. Ainsi naissent les fictions, et le personnage de cette nouvelle a même trouvé son public au bistrot situé en face de chez les Pontier. Est-il donc permis de voir dans la nouvelle "Trop lire Simenon" une métaphore de l'art de créer des histoires? Tout à fait.

Enfin, quelle est la tonalité de ces nouvelles? Soucieuses de réalisme, portées par une langue généralement simple et fluide, elles se lisent aisément. Elles témoignent d'une tendresse indéniable pour tous ces personnages mis en scène l'espace de quelques pages, suffisantes pour dessiner un petit monde où, pêle-mêle, se baladent des œuvres d'art étranges, un moteur de mobylette démonté, des OGM qui font figure de repoussoir ("La main verte") et même un bathyscaphe à aimer, au-delà des froides définitions du dictionnaire ("Fuir l'ennui"). 

Guillaume Juillet, Trop lire Simenon, Saint-Etienne, Abribus éditions, 2003.

Le blog des éditions Abribus.

Source de la Photo: le blog d'Erik Vaucey.


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