Mila – Oui, le titre est ambitieux. Mais ses promesses sont tenues: "Je suis le prix de votre liberté" est le témoignage d'une jeune femme, Mila, dont la vie a été fichue en l'air parce qu'elle a dit sur les réseaux sociaux, sans filtre, ce qu'elle pensait d'un certain système de pensée. Ce livre est l'autobiographie que l'auteure ne s'attendait pas à devoir écrire; c'est aussi, et même surtout, un plaidoyer pour la liberté d'expression à la française, c'est-à-dire la plus étendue possible, jusqu'au blasphème et à l'irrévérence. Courageux? Nécessaire même, à l'heure où la tendance est trop souvent à l'autocensure, admise au nom du respect de ceux qui l'exigent tant et le pratiquent si peu.
Mila fait d'elle-même un portrait sans complaisance. On la découvre désireuse d'extravagances, dissipée, impulsive, talentueuse, artiste dans l'âme, positionnée comme un peu différente de ses collègues de lycée, ce qui lui vaut toutes sortes de harcèlements. On la découvre également héritière d'une famille où la religion n'a pas sa place; on apprend en revanche qu'elle a grandi dans un milieu où l'humanisme prime. Il est permis de se dire que son orientation pansexuelle (elle récuse le mot, mais son vécu y correspond: elle a aimé des femmes, mais relate aussi son expérience avec une femme trans) résulte de cette manière de voir le monde: chaque humain, homme, femme ou autre, est susceptible d'être un objet d'amour.
On se souvient que l'"Affaire Mila" a été une histoire riche en rebondissements dont la presse et les réseaux sociaux se sont fait l'écho: un harcèlement en ligne sans précédent, sur la base d'un avis donné en ligne par une femme qui refuse le conformisme. Le lecteur retrouve ces épisodes, relatés du point de vue de l'auteure: le soutien inattendu d'une journaliste que l'on a positionnée à l'extrême-droite, le difficile transfert vers un lycée militaire à la discipline stricte, les avanies survenues lors d'un séjour à Malte et leur liquidation immédiate par la police et la justice locales. Victime de harcèlement en ligne et en vrai, l'auteure ne surjoue pas ce statut: l'écriture de "Je suis le prix de votre liberté" est généralement franche mais sans afféterie, et relate une vie qu'on ne saurait souhaiter à une adolescente d'aujourd'hui.
"Nous sommes une génération de repli identitaire", avance par ailleurs l'auteure (p. 73) pour décrire, élargissant son propos, l'état d'esprit de son entourage. Une description pessimiste, minée par les exclusions qu'impose toute approche identitaire où chacun porte sa religion, son orientation sexuelle ou sa couleur de peau comme un étendard inattaquable. Elle énumère avec dépit les mots en "-phobe" qui pullulent aujourd'hui et sont des machines à chantage, et illustre le phénomène à l'aide du personnage fictif d'Alexia (p. 79), habile caricature de tous les travers actuels de la pensée. L'auteure ne dit jamais "woke"; mais c'est cette aberration de la pensée qu'elle dénonce en filigrane.
Enfin, l'auteure rappelle une vérité, c'est que l'islam n'est pas une race, à deux reprises, la première fois en prenant la question par l'absurde: "Et qu'on ne vienne pas me faire un procès pour racisme. Ce serait aussi absurde que se moquer de Zeus, ce serait grécophobe...". Rejetant les religions en bloc, l'auteure rappelle, dans le même état d'esprit que toute personne croyante, quelle que soit sa bergerie, doit pouvoir entendre, même si cela ne lui fait pas forcément plaisir: cela relève de la liberté de conscience. Le lecteur chrétien sourira d'ailleurs en lisant la phrase "Et je pense que si Dieu existe, s'il est aussi puissant qu'on le raconte, il sait se faire entendre tout seul": c'est précisément l'idée de Jésus-Christ, Dieu fait homme à un moment donné de l'Histoire pour faire passer un message d'amour qui, certes, n'a pas toujours été justement compris.
Pour terminer, l'auteure renvoie dans les cordes quelques personnalités politiques qui se sont aventurées à lui mettre des limites, à commencer par Ségolène Royal, prête à limiter la liberté d'expression des mineurs (mais Mila, certes mineure, apparaît plus mûre que bien des hommes et femmes politiques adultes en place en France) ou Yassine Belattar, qui se sent pousser des ailes de complotiste – sans oublier Nicole Belloubet, alors garde des sceaux.
Au terme de la lecture de cet ouvrage bref mais réfléchi, le lecteur aura connu avec Mila une femme qui a la tête sur les épaules, placée soudain face aux effets amplificateurs des réseaux sociaux, dont les échos bêtement haineux résonnent au fil des pages et des citations, comme par contraste. La liberté d'expression est une valeur d'expression à laquelle la France, patrie des "Charlie Hebdo" et autres "Hara-Kiri", accorde une importance majeure; et c'est à l'aune de telles affaires qu'elle est mise à l'épreuve. Dès lors, le message que Mila semble adresser à ses lecteurs est aussi: "Ne lâchons, ne lâchez rien!".
Mila, Je suis le prix de votre liberté, Paris, Grasset, 2021.
Le site des éditions Grasset.
Egalement lu par Julien.
Merci pour cette chronique :) Cela donne envie de découvrir le livre. Il n'obtient pas une très bonne note sur Livraddict (13.3/20) mais vu qu'il y a seulement 4 votes de lecteurs, ça ne me semble pas très représentatif...
RépondreSupprimerBonjour Mathilde, merci pour ton commentaire! Oui, c'est un livre qui vaut la peine d'être découvert, aussi en raison de la qualité du raisonnement de l'auteure. J'avais suivi l'affaire en son temps, c'est ce qui m'a intéressé à m'y plonger.
SupprimerBonne soirée à toi!