mercredi 12 juillet 2023

La secte des suicidés... mais par qui?

Jeong Hai-yeon – Prenez un jeune homme amnésique nommé Kim Tae-seong, à la fois suicidaire et désireux de vivre – c'est paradoxal mais ça se tient. Lâchez-le dans un coin misérable de Séoul avec une rente famélique, offrez-lui un moment au cybercafé pour trouver des gens qui pourraient avoir envie de mourir avec lui. Il n'en faut pas plus pour poser les bases du roman "La secte des suicidés", thriller virtuose, tout en illusions, signé de l'écrivaine sud-coréenne Jeong Hai-yeon.

Se suicider en équipe? L'idée peut surprendre, mais la romancière présente l'idée des "Suicide Clubs" comme quelque chose d'assez évident. Elle expose également une méthode apparemment assez fréquente pour se suicider en Corée du Sud: les briquettes de charbon qu'on allume et qui permettent un décès assez doux, par asphyxie. Le début de l'intrigue, avec cette velléité de rejoindre le paradis à plusieurs au sein du club "The Heaven", fait même penser à l'approche amicale du suicide mise en avant par Arto Paasilinna dans "Petits suicides entre amis". 

Mais très vite, le lecteur s'interroge: certaines des personnes invitées à se suicider dans un coin de montagne reculé (son nom familier ne figure pas sur les cartes, ce qui renforce son caractère irréel) n'ont pas du tout le profil de suicidaires. Dès lors, question: l'auteure n'a-t-elle aucun sens de la psychologie, ou y a-t-il autre chose? La deuxième hypothèse est la bonne. Et si ce "Suicide Club" n'était rien d'autre, en fait, qu'un piège tenu par un psychopathe? Le suicide anticipé de la seule personne sincère dans ce projet, une adolescente nommée Choi-Lin qu'on verra bouffée par les asticots, conforte le lecteur dans l'idée que oui, il y a une vérité cohérente derrière des apparences qui ne le sont pas. 

Suicidaire et désireux de vivre, ai-je dit au sujet de Kim Tae-seong, le personnage principal. Oui, il est tendu entre ces deux aspirations existentielles. Et les épreuves qu'il va subir lui permettront de sortir d'une sorte d'ambiguïté face à la mort, en faisant primer son appétit de vivre. L'auteure réserve quelques pages hallucinées à la dissipation de l'amnésie clinique du bonhomme. Elle va aussi le pousser à se confronter à son passé, et surtout à ce qui lui reste de sa famille: son frère, un policier en apparence exemplaire. Et là aussi, l'auteure balade son lectorat...

... en effet, celui-ci va se demander pourquoi ce frère sorti de nulle part, méprisant, prend soudain soin de son frère, ou pas. On pense corruption, et l'auteure ne manque pas, en effet, de mettre en scène une police qui met singulièrement peu d'ardeur à mener l'enquête autour du club "The Heaven": soit ils sont vraiment bêtes (le lecteur aurait fait mieux à la place des flics du roman, c'est dire), soit c'est autre chose, mais c'est curieux! Alors oui, certains personnages sont protégés par leur famille et leur immense fortune, et il y a bien une affaire de fric à chercher, mais pas dans ce sens. Et pour survivre, Kim Tae-seong devra se battre et souffrir – et surmonter la force des liens familiaux, qu'on peut voir comme un fait culturel coréen.

L'intrigue sait surprendre et n'épargne rien au lecteur: dans une ambiance qui finit par ressembler à celle d'un panier de crabes où l'enjeu des confrontations est à chaque fois la vie (normal dans un contexte de suicides!), elle ose les scènes les plus horrifiques, avec des personnages brûlés vifs, égorgés ou crucifiés à la façon de Jésus-Christ. Quant à l'écriture, si elle peut paraître lente au début, elle s'avère efficace, finit par accrocher le lecteur et se démarque, et c'est bien venu, par un sens de l'image décalée qui permet un peu de légèreté au détour d'une phrase, alors que l'ambiance est généralement tendue. Enfin, la présence d'un répertoire des personnages permet au lecteur peu coutumier du monde coréen et de ses noms d'avoir une référence bien pratique en cours de lecture.

Jeong Hai-yeon, La secte des suicidés, Paris, Matin Calme, 2022. Traduit du coréen par Han Yumi et Hervé Péjaudier.

Le site des éditions Matin Calme.

Lu par Crayon de Couleuvre.

10 commentaires:

  1. Je n'ai lu qu'un roman de la maison d'édition qui m'a bien plu alors celui-ci me tente bien d'autant que derrière une idée déjà bien morbide, semble se cacher autre chose !

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    1. Bonjour Audrey, merci pour ton commentaire! Oui, celui-ci me donne aussi envie de lire d'autres romans publiés par cette maison d'édition spécialisée. C'est morbide, mais parfaitement cohérent même si ça semble curieux au début.
      Bonne fin de semaine à toi!

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  2. ça m'effraie un peu tout en me donnant sacrément envie !

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    1. Bonjour Violette, merci pour ton commentaire! C'est à essayer, fonce si ça te donne envie!
      Bon week-end à toi!

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  3. Voilà qui pique la curiosité ! Entre cette étrange intrigue et le dépaysement d'une incursion sud-coréenne, me voilà tentée...

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    1. Ah oui, c'est dépaysant, même si l'auteure n'abuse pas de la ficelle du régionalisme pittoresque. L'intrigue est en revanche originale, c'est à essayer!
      Merci de ton commentaire!

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  4. Bonjour Fattorius. Les éditions Matin Calme sont spécialiste du genre. Pour ma part, j'y ai fait de très belles découvertes et d'autres moins intéressantes. "La secte des suicidés" semble t'avoir convaincue.

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    1. Bonjour à toi, et merci pour ton commentaire! Je vais, pour sûr, continuer à explorer ce que fait "Matin calme": en effet, "La Secte des suicidés" m'a convaincu. L'as-tu lu?
      P.-S.: j'ai ajouté ton blog à ma blogroll dynamique afin de te suivre, et m'en vais l'explorer plus avant. Bon week-end à toi!

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    2. Merci beaucoup. Je viens de t'ajouter au mien. A bientôt !

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    3. Merci beaucoup et au plaisir de te relire! :-)

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