Slobodan Despot et Patrick Gilliéron Lopreno – Des traces de tracteur. Signe de l'humain marquant de son empreinte, avec les outils qui sont les siens aujourd'hui, cette terre qui le nourrit, saison après saison. L'image de couverture est presque abstraite, et pourtant, que de concret!
Pour dire l'osmose entre l'homme et sa planète, le photographe Patrick Gilliéron Lopreno et l'écrivain Slobodan Despot se sont alliés pour créer "Champs". Ce sont des amis, des philosophes aussi. Il en résulte un beau livre à la couverture de toile grège qu'on aime toucher – et feuilleter, aussi: si la couverture est âpre, rugueuse, les pages ont la texture lisse du papier glacé.
Celui qui feuillette "Champs" va se retrouver captivé par ces images sans filtre, authentiques, prises par un bon vieux Hasselblad dopé à l'argentique. Un choix technique qui fait sens: l'argentique demeure une technique matérielle, consistant à fixer de la lumière sur de la matière, contrairement au numérique, fief du pixel immatériel – loin de cette agriculture qui n'est que matière, justement.
Les images du photographe de "Champs" ont le pouvoir de capter des ambiances et les couleurs de chaque saison, révélant en particulier, et de façon frappante, le froid de l'hiver. Elles retracent les multiples visages de l'agriculture telle qu'elle est pratiquée en Suisse romande, entre Seeland et campagne fribourgeoise. Elles saisissent aussi l'humain, ces paysannes et paysans d'aujourd'hui, ainsi que les animaux. Et aussi, loin de tout folklore idéalisé, ces machines qui font partie du métier de paysan au seuil de notre siècle.
Ces photos ne sont pas légendées, laissant le lecteur se plonger dans des images le plus souvent panoramiques, révélatrices de vastes horizons. Les textes qui les entourent viennent dès lors s'installer tel un complément, un commentaire discret susceptible, sans contrainte, de les éclairer. Leur auteur ne se gêne pas de parler de lui, de sa jeunesse en Serbie, de sa vie en Suisse. Il ose le "je". Mais son propos va plus loin.
Il vise en effet à l'universel, au travers de la peinture d'un métier considéré comme le dernier à être pratiqué par des nobles, proches de la terre et chargés de nourrir le monde. Cela, même s'ils sont aussi en voie de disparition en Suisse. Surtout, il les rattache à une tradition ancestrale qu'il fait plonger jusqu'aux débuts de l'humanité, convoquant les mythes chrétiens – celui de Caïn et Abel en particulier.
Présentée comme ancestrale et profonde, la tradition agricole fait contraste dans ces textes, de manière éclatante, avec le côté superficiel et faux de la vie en ville, à commencer par ces fraises sans saveur qu'on vend en plein hiver. Le numérique, les pixels ont-ils jamais nourri qui que ce soit? Et qu'en est-il de ces émissions de téléréalité où l'on essaie de marier un paysan à une citadine? Si le texte évoque tout cela comme un repoussoir, les photos ne diront rien de cette fausse monnaie des jours.
Personnels, profonds, les textes de "Champs" apparaissent comme des proses poétiques qui accompagnent, s'il le veut bien, la rêverie de celui qui parcourt livre. Présenté comme un défi au temps qui passe, "Champs" est aussi, tant par la photographie que par la littérature, un jalon dans la façon d'écrire l'univers agricole romand, vu comme un monde essentiel, pétri de fierté légitime et d'incertitudes.
Slobodan Despot et Patrick Gilliéron Lopreno, Champs, Dole, Olivier Morattel Editeur, 2021.
Le site de Patrick Gilliéron Lopreno, celui des éditions Olivier Morattel.
Oh je suis désolée! Blogger a rétabli les billets supprimés 12 h avant... Pour des raisons pratiques, je garde donc blogger, mais demeure méfiante et garde sous le coude le hautetfort.
RépondreSupprimerOK! De mon côté, je garde les deux dans ma blogroll - et continuerai de te suivre de part et d'autre.
SupprimerBonne fin de semaine et à te relire!
Près de 60 francs suisses! => peut-être au moins la moitié en euros, rendu en France? Ca fait quand même cher... même pour un ouvrage de qualité.
RépondreSupprimerEn effet, cela devrait faire une cinquantaine d'euros. Cela dit, même s'il est basé en France, je ne sais pas si l'éditeur a pensé à un public français pour ce livre très suisse.
SupprimerMerci pour ton passage!